Critique

L’expérience du récital des postures

Me voici interpellé par un flyer où l’image d’une jeune femme nue apparaît dans une bien étrange posture. Mon œil voyeuriste est mécaniquement attiré par cette curiosité érotique.

« Le récital des postures » par l’artiste Yasmine Hugonnet, c’est ce que je lis en titre et cela semble être une performance artistique plutôt qu’un show érotique. Mais mon regard vicieux, auquel j’obéis les yeux fermés, m’ordonne à me rendre à ce spectacle sans que je puisse intervenir, à tel point que la performance artistique devient secondaire. Mes yeux vont pouvoir s’extasier devant le corps d’une jeune femme nue. La motivation est d’autant plus grande rien qu’a y penser ! Mon fantasme sera comblé.

Me voilà dans la salle de spectacle avec cette jeune femme qui se trouve devant moi et qui passe d’une posture à une autre par une série de mouvements d’une lenteur et d’une grâce étincelante. Le corps est nu, il est devant moi éclairé par des projecteurs sur une scène où la blancheur du décor me convoque à la neutralité. Tout se déroule dans le silence.

Mais ce corps nu jeune et beau qui m’attirait se présente à moi d’une tout autre manière : le désir charnel du corps d’une jeune femme s’estompe jusqu’à disparaître totalement ! La performance artistique inhibe toute relation passionnelle avec ce corps. Le corps devient quelconque si bien que le fantasme qui naît de l’idée de la beauté d’un corps d’une jeune femme m’apparaît comme un amas de chaire recouvert d’une peau blanche. A vrai dire, l’idée du dégoût prend le dessus !

Mes passions, qui nourrissaient mon imagination à mettre sur un piédestal la perfection d’un corps d’une jeune femme, se voient abattues par la réalité qui se présente devant moi. Ce corps n’est pas aussi beau que je pouvais l’imaginer : est-ce une tout autre idée de la beauté que mon imagination voulait bien me montrer ? L’imaginaire me joue des tours en me présentant le corps d’une jeune femme comme un objet de désir sexuel et comme étant d’une perfection inébranlable ! Etrange concept de la beauté ! Cependant, j’observe des défauts sur ce corps que mon imagination s’était bien gardée de me présenter ! Ce corps ne serait-il pas parfait ? Mon imaginaire semble très ferme à ce sujet : le défaut n’est pas permit ; d’ailleurs, il ne peut exister dans ces conditions ! Or, le défaut n’est qu’une construction mentale qui repose sur cette croyance du corps parfait.

En effet, il n’y avait pas de défaut : ce corps était beau car le corps d’une femme l’est. La performance artistique m’invite à le voir d’une autre manière, dénué de tout fantasmes imaginaires. Ce corps se présente comme un corps de femme parmi d’autres corps de femmes. L’attirance sexuelle n’est plus qu’un souvenir ; mon regard n’est plus asservi par la passion ; le désir de la chaire juvénile passe aux oubliettes !

Je retrouve la neutralité de mon regard, neutralité qui s’est imposée de manière quasi naturelle. Serait-ce l’effet du « récital des postures » ? Aurait-il le pouvoir de transformer un regard vicieux en un regard vertueux ? C’est semble t-il ce qui s’est produit. Le corps nu n’était plus nu mais vêtu d’une grâce et d’une universalité féminine, nu de tout désir sexuel, pure et divin.

« Le récital des postures », « c’est apprendre à mourir au sensible » (pour reprendre les termes de Platon). C’est une invitation à l’abandon des passions. C’est une belle performance comme le silence qui l’accompagne.

https://yasminehugonnet.com
Crédit photo : Anne- Laure Lechat