Philosophie

Les réjouissances de la postulation

« Malgré vos qualifications, nous avons le regret de vous informer que votre postulation n’a pas été retenue pour un entretien. Ceci ne remet pas en cause vos compétences…»

Dans une démarche de recherche d’emploi, qui peut prétendre ne jamais avoir lu ce type de formulation dans une réponse négative à une postulation ? Ces formules, qui évoluent sous d’autres formes similaires, agrémentent quotidiennement le contenu des courriels de celui qui s’est engagé dans la fastidieuse recherche d’un emploi. Mais pour que le candidat ne sombre pas dans une sorte de dépression chronique, chaque service des ressources humaines propose des formules plus ou moins originales. Certains dirons « nous avons eu beaucoup d’intérêt à découvrir votre parcours professionnel à travers votre dossier mais d’autres candidats sont plus proches du profil recherché » alors que d’autres vous informe que « votre postulation n’a pas été retenue par le jury de sélection […] cette décision ne remet bien évidemment pas en cause la qualité de votre dossier ». Cependant tous s’accordent sur le fait qu’ils sont dans le regret de vous annoncer cette mauvaise nouvelle « nous avons le regret de vous annoncer… » tout en terminant par un discours de pseudo bienveillance promulguant des souhaits de pleine réussite dans la poursuite de la recherche d’emploi.

Bien évidemment, à force de recevoir ce type de réponse toute faite, le candidat constate rapidement les processus automatiques mis en place pour l’envoi des réponses négatives, qui dans la majeure partie des cas, sont intitulées « no reply » dans le libellé du courriel, ne permettant ainsi aucunes réponses possibles. Le candidat se retrouve dès lors devant une accumulation de réponses plus impersonnelles les unes que les autres enrobées de formules de politesse pour ainsi dédramatiser la réponse négative et donner une note d’espoir dans la suite du processus de recherche.

Dans ce type de réponse, rien n’indique au candidat les réels critères qui ont mis en péril sa candidature. Seule la formule « nous n’avons malheureusement pas retenu votre candidature » parvient à ce dernier. Ce type de réponse n’est évidemment sans grand intérêt puisqu’elle ne permet en aucun cas de connaître les éléments précis de son dossier qui ne répondaient pas aux critères d’exigences. Il n’y a donc aucunes informations constructives qui parviennent au candidat mise à part celle lui annonçant que sa candidature n’a pas été retenue. Nous devons en conclure qu’à ce stade de la postulation, les services des ressources humaines n’ont pas ce rôle qui est celui d’aider le candidat dans ses démarches de recherche d’emploi. Ils préfèrent ne pas s’attarder sur ces cas. Quoi qu’il en soit, cela ne nous enlève pas l’idée qu’il y a un manque de clarté et souvent un manque d’honnêteté de la part des services des ressources humaines dans cette première étape de la postulation. Un candidat qui reçoit une réponse négative alors que son profil correspondait dans l’ensemble aux compétences et expériences souhaitées entraine souvent un sentiment de frustration chez ce dernier du fait qu’aucuns éléments expliquent clairement les causes de ce refus. La première réaction du candidat serait d’obtenir plus d’informations afin de connaître les éléments qui ont fait pencher la balance en sa défaveur. Cependant, la prise de contact est volontairement écartée pour que le candidat ne puisse interroger les personnes concernées. Car comme nous l’avons mentionné plus haut, d’une part les libellés « no reply » des courriels sont associés à des adresses de messagerie n’acceptant aucunes réponses, puis d’autre part, l’expéditeur ou celles et ceux qui sont responsables des décisions ne sont souvent pas mentionnés dans le contenu du message. Pour le candidat, il est donc tout à fait impossible de contacter les personnes concernées sans se lancer dans des recherches plus poussées qui permettraient de les atteindre par d’autres moyens.
La seule consolation sur laquelle le candidat peut se reposer est qu’il peut s’estimer chanceux d’avoir déjà obtenu une réponse même si celle-ci est impersonnelle. En effet, certains services des ressources humaines s’autorisent à ne tout simplement pas répondre aux candidatures déposées tandis que d’autres vous répondent sans pour autant qu’ils aient lu votre dossier ! Un candidat peut recevoir une réponse négative spécifiant que sa candidature n’a pas été retenue du fait qu’il n’avait pas les compétences requises pour le poste alors qu’il avait tous les éléments (diplômes, expériences, compétences) pour satisfaire la demande. Ce cas soulève quelques hypothèses : soit le dossier n’a pas été lu, soit la réponse n’est pas adaptée aux qualités du dossier, soit c’est la méthode du passe droit qui a fait foi, soit le poste à été repourvu en interne.

Bref, une sélection sur dossier est par analogie la même démarche qu’un consommateur qui ferait usage d’un catalogue de vente présentant les caractéristiques techniques de divers nouveaux modèles de voiture en vue d’un achat. Lors d’un premier tri, nous pourrions nous demander si le candidat n’est pas jugé d’une façon plus ou moins arbitraire et subjective ? Car le dossier n’est-il pas qu’un point de vue réducteur du candidat ? Le parcours professionnel d’un candidat se borne qu’à un seul aspect de son expérience de vie et ne révèle souvent pas ses qualités profondes d’être humain et ses connaissances extra professionnelles.
Toutefois, nous comprenons que les services des ressources humaines doivent obligatoirement faire un premier choix « rapide » répondant aux exigences professionnelles de base car il n’est actuellement pas possible pour ces derniers de rencontrer tous les candidats qui ont déposés une candidature pour un poste de travail. La difficulté qui réside est bien évidemment dans le nombre de cas à traiter mais cela ne nous empêche pas de nous questionner sur le contenu des réponses et les méthodes utilisées pour informer les candidats des décisions prisent.

En vue de cela, il n’est pas difficile de constater que la plupart des demandeurs d’emploi se sentent rejetés socialement et personnellement du fait qu’ils ne peuvent que très rarement se sentir accueillis dans leur entièreté dans le cadre de leur démarche. Les réponses des courriels sont bien évidemment une des conséquences de ce désarroi. En effet, parmi la quantité de dossiers déposés, un candidat n’est réduit qu’à un numéro de dossier, qu’à une lettre de motivation ou qu’à un CV. Dès lors, il semble que du fait qu’il soit un parmi tant d’autres, il ne soit pas autorisé à être traité dignement comme un être humain qui doit être respecté dans son intégrité et indépendamment de son profil, de sa photo, de son sexe, de son origine. De plus, le nombre excessif de cas à traité devient dans certains cas la cause principale d’un comportement inadapté et non-éthique des employés des services des ressources humaines face aux candidats. Nous avons le cas d’une employée d’un service des ressources humaines de l’administration cantonale genevoise qui répondit agressivement à un candidat qui voulait simplement connaître la date exacte de l’éventuel entretien qui lui avait été proposé trois mois auparavant. Cette employée s’autorisait à être désagréable parce que débordée par la gestion des 400 candidatures qui avaient été déposées (cause qu’elle ne manquait pas de mentionner pour se déresponsabiliser de son comportement). Ainsi, la faute revenait principalement à la surcharge de travail et donc au nombre de cas à traiter conditionnant et conduisant ainsi les comportements et les pratiques de cette employée. Il ne s’agissait en fait que d’un prétexte qui semblait soulager cette personne d’une forme de non-responsabilité de son propre comportement. Or, il est préférable d’accepter la réalité qui dans ce cas est celle de gérer un nombre important de candidature pour un même poste – puisque c’est un fait incontestable – pour ainsi ne pas déverser sa frustration, sa colère et sa malveillance envers autrui. Rappelons que l’activité principale d’un employé des ressources humaines se focalise sur l’être humain. Dès lors, si un employé des ressources humaines traite « son client » comme un objet dépourvu de toute humanité, nous suggérons à cette personne de changer de profession car c’est semble-t-il une méconnaissance de soi de vouloir travailler avec les êtres humains si nous ne les considérons pas tels qu’ils sont. Bref, quelques fois nous nous demandons quel est le contenu des formations au métier des ressources humaines, et spécifiquement tout ce qui touche à la connaissance de l’être humain ? De plus, nous soutenons que sans entreprendre une démarche de connaissance de soi, il est d’autant plus difficile de comprendre l’être humain dans sa globalité tout en visant le bien véritable de chacun.

Mais revenons à ces réponses de courriels en nous focalisant cette fois-ci sur les formules de politesse utilisées dans ceux-ci. D’un point du vue philosophique, la politesse peut être envisagée de deux façons : l’une est de penser qu’il s’agit d’une forme du langage pour adoucir les tensions sociales, une marque de savoir vivre, l’autre est d’entendre la politesse comme un acte d’hypocrisie où la politesse se moquerait de la morale. Nous pourrions donc très bien envisager les formules de politesse employées dans les réponses des courriels des deux façons qui viennent d’être énoncées. Cependant la seconde nous semble celle qu’il faille approfondir. En effet, les formules de politesse employées dans ce contexte spécifique des réponses par courriels ne peuvent qu’être le résultat d’une malhonnêteté puisqu’elles se reposent uniquement sur des modèles préétablis que des employés utilisent machinalement. Ces formules ne sont pas le produit d’un réel sentiment éprouvé par celui qui les utilise d’autant plus si la réponse est envoyée de manière anonyme ajouté d’une consigne interdisant les réponses. Il n’y a donc pas de réel regret comme de réel souhait. Nous avons à faire à une forme d’hypocrisie mal placée et non assumée. Personne ne regrette rien pour l’autre, personne ne souhaite rien pour l’autre car comment éprouver ces sentiments en se calquant sur de simples numéros de dossier ? Dans le Discours sur les sciences et les arts, Rousseau évoque les formules de politesse pour en déduire qu’elles ne sont que le caractère malhonnête corrompu des bonnes manières de son siècle. Au même titre, Montesquieu dans L’esprit des lois, Tome 1, Livre IV nous dit « Mais ce n’est pas d’une source si pure que la politesse a coutume de tirer son origine. Elle nait de l’envie de se distinguer. C’est par orgueil que nous sommes polis: nous nous sentons flattés d’avoir des manières qui prouvent que nous ne sommes pas dans la bassesse […] ». Ne ditons pas qu’un rustre généreux voudra toujours mieux qu’un égoïste poli ? En effet, une formule de politesse qui n’est justement qu’une simple formule utilisée par habitude comme c’est le cas pour un « Bonjour, ça va ? » n’est pas souvent le fruit d’un réel questionnement quant à l’état de santé de la personne. Il y a donc bien dans la plupart des cas un décalage entre les mots utilisés et les réels sentiments des individus qui les utilisent. Comme le disait Alain dans les Quatre-vingt-un chapitres sur l’esprit et les passions, « la politesse n’est qu’une gymnastique de l’expression ». Aussi, nous pourrions nous demander qu’elles sont les conséquences de ces formules de politesse banalisées et utilisées dans le cadre d’un échange entre deux individus ? Comment un candidat peut-il accueillir pleinement des regrets tout comme des souhaits de réussite en sachant pertinemment qu’aucun individu réel n’éprouve ces sentiments, à commencer par celui qui se charge d’envoyer les courriels (puisque toutes les réponses négatives sont des copies de modèles préétablis) ?
Au contraire, et par soucis d’honnêteté envers les êtres humains, nous pensons qu’il est préférable d’être prudent dans l’usage de ces formules de politesse puisqu’elles sont la plupart du temps fondées sur un mensonge collectif plutôt que sur un réel sentiment de compassion et de bienveillance. Une franchise bien assumée est respectueuse et préférable ; elle sera reçue avec beaucoup plus d’aisance parce qu’elle n’est pas entachée de malhonnêteté. Il est tout à fait concevable de rédiger des courriels sans l’utilisation de ces formules de politesse sans pour autant paraître malhonnête dans la rédaction. Au contraire, la franchise est bien plus efficace que des phrases toutes faites et construites sur des sentiments non assumer tout comme sur des paroles mensongères.

Finalement et d’un point de vue plus global, il nous semblait intéressant d’introduire un dernier point émanant de la pensée du philosophe Fabrice Midal. En effet, le philosophe évoque le fait que dans notre monde régit par un désir de productivité effarant, l’être humain n’est perçu qu’en tant que ressource humaine. Il n’est pas étonnant de constater que nous avons donné le nom de « Ressource humaine » au service d’une entreprise qui gère des employés. L’être humain est un producteur/consommateur qui doit être absolument rentable. Il y a comme une obsession de l’efficacité et du rendement qui nous menace. Dans un contexte social comme celui-ci, nous comprenons que les compétences et les exigences qui sont demandées dans le cadre d’un recrutement soient sévères et exigeantes. L’objectif absolu d’une entreprise serait de trouver le candidat parfait qui réponde entièrement à tous les critères demandés. Toutefois, il y a toujours un risque d’erreur car les prédictions, même celles effectuées par les meilleurs recruteurs – appelés vulgairement les chasseurs de tête – ne sont jamais fiables à 100%. L’erreur qui serait d’avoir sélectionné le « mauvais » candidat semble dès lors inconcevable pour une entreprise. Pour parer aux éventuelles erreurs, les services des ressources humaines peuvent désormais utiliser des logiciels qui sont capable de mesurer les compétences émotionnelles des candidats. C’est le cas du logiciel Geco (Geneva Emotional Competences Test) et développé au sein du Pôle de recherche national en sciences affectives en collaboration avec l’entreprise bernoise Nantys (voir l’article Les compétences émotionnelles s’installent au bureau de la revue Campus, N° 129 – Juin 2017 – Le magazine scientifique de l’Université de Genève). Ce logiciel permet de tester l’intelligence émotionnelle du candidat tout en faisant le lien avec ses performances et ses aptitudes à diriger. Le résultat du test permet d’évaluer le niveau général du candidat et de mettre en évidence ses atouts ainsi que ses éventuelles lacunes pour ainsi prédire le comportement du futur employé. L’avantage est d’obtenir un feedback neutre, impartial et objectif (propos de Marcello Mortillaro responsable du CISA). Il est vrai que les méthodes de sélection d’un candidat laissent une large part à la subjectivité. Ce test permet ainsi de dépasser le sentiment singulier éprouvé par le recruteur qui pourrait faire pencher la balance d’un côté plutôt que d’un autre par affinité. C’est certes un avantage mais dans une optique comme celle-ci, voilà que les machines se chargent dès à présent de sélectionner et de recruter les candidats les plus performants parce que l’homme n’est plus assez performant et plus assez fiable pour effectuer cette tâche ! Dans ce cas, nous ne sommes plus très loin de la notion du « post humain », c’est-à-dire d’un humain relayé par des technosciences qui le transporterait au delà de la portée finie et limitée de l’intelligence humaine. L’être humain n’est plus en mesure de répondre aux exigences demandées par le société occidentale. Les cas de plus en plus fréquents de dépression et de Burnout en sont la preuve. Ce souci de performance, de rentabilité et d’efficacité hante notre société à vouloir toujours plus, toujours mieux. L’exigence est telle qu’elle devient néfaste à la condition humaine. Faut-il remplacé l’être humain par quelque chose de mieux, de plus performant ? C’est semble t-il vers quoi nous nous dirigeons si nous ne remettons pas concrètement en question cette frénésie de la performativité.

La recherche d’emploi est fastidieuse car elle demande beaucoup d’énergie à la recherche d’un poste, à l’écriture des multiples lettres de motivation, à l’attente des réponses (s’il y en a). Cela induit un sentiment d’inutilité que l’individu éprouve face à une société qui semble ne pas vouloir de lui, un sentiment de peur de manquer d’argent à chaque fin de mois puis un sentiment d’isolement social. Cette démarche peut durer des mois, voir des années ce qui entraîne une autre problématique qui est celle de l’individu qui se retrouve « hors circuit » du marché du travail depuis bien trop longtemps pour espérer une proposition d’un poste. Nous remarquons que les services des ressources humaines privilégient les candidats qui sont engagés comme si les demandeurs d’emplois à long terme étaient une catégorie répulsive et contaminée de toutes les paresses inimaginables. Quelques préjugés de certains individus sur les chômeurs ou ceux se trouvant en fin de droit démontrent à quel point l’intérêt individuel conduit les hommes à l’opposé de la bienveillance et de la compassion.
Dès lors, il semble indispensable que les services des ressources humaines analysent et modifient leurs processus de gestion des candidats. Car aujourd’hui, la tendance est que le candidat est devenu un fardeau qui doit être écarté et traité le plus rapidement possible pour ne pas submerger la charge de travail des employés des ressources humaines.