Philosophie

Conception de la famille chez Rousseau : une nouvelle forme de patriarcalisme ?

Introduction

Ce travail a pour objectif de rendre compte de la notion de famille à partir de la position de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) en faisant appel à la réception critique de la politologue et féministe Carole Pateman 1. L’idée principale est d’interroger la pensée du philosophe genevois afin de mettre en lumière la conception traditionnelle de la famille nucléaire au XVIIIe siècle. Un retour sur des textes fondamentaux est une façon de comprendre la construction historique d’une notion philosophique. La notion de famille du siècle des Lumières nous aide donc à comprendre celle d’aujourd’hui. Pour cela, je m’intéresserai plus particulièrement à la thèse de Rousseau qui consiste à fonder la famille dans la nature. En effet, cette conception qui définit la famille comme étant la seule société naturelle repose sur une argumentation de type « naturaliste ». Nous verrons que cette conception se distingue des philosophes comme John Locke (1632-1704) et Samuel Von Pufendorf (1632-1694) qui abordent la question de la famille d’une tout autre manière. Toutefois, nous devons nous demander si la démarche rousseauiste qui fonde la famille dans la nature permet de remettre en question la conception traditionnelle de la famille, c’est-à-dire une conception patriarcale où la femme est dominée par l’homme et où les rôles et les devoirs reposent sur une distinction genrée ? Nous verrons qu’une telle argumentation a pour conséquence de poser l’autorité paternelle, l’inégalité entre les hommes et les femmes et les rôles et les devoirs de chacun au sein de la famille et dans la société civile dans la nature. Par conséquent, le patriarcalisme qui consiste à faire du père « le chef de famille » est conservé par Rousseau (il est omniprésent dans toute son argumentation).

Quant à la conception rousseauiste du mariage, elle est fondée sur un mariage d’amour qui repose sur un consentement du libre choix du partenaire. Toutefois, et malgré cette liberté accordée à la femme de choisir son futur mari, ce consentement ne lui permet pas de s’extraire de l’autorité de son mari du fait que ce pouvoir est naturel et qu’il répond au principe originel d’inégalité entre les deux sexes. Si Locke admet qu’il y a égalité entre les deux sexes à l’état de nature (un droit égal à la liberté naturelle), Rousseau rejette cette thèse. L’inégalité entre les deux sexes est naturelle si bien qu’il n’est pas nécessaire de vouloir la justifier au sein du mariage par le bais d’une quelconque convention. Ainsi, si le mari est considéré comme étant le plus adapté à l’autorité et le plus raisonnable, l’autorité lui revient naturellement puisque par définition le raisonnable commande le déraisonnable. Par conséquent, l’autorité du mari sur sa femme comme celle du père sur ses enfants est un fait « naturel » dont il n’est pas question de remettre en cause. Toutefois, comment peut-on justifier cette inégalité naturelle entre les deux sexes ? Rousseau va démontrer que les femmes ne sont pas égales aux hommes, en s’appuyant sur des arguments reposant sur des évidences naturelles de type anatomique, physiologique, et psychologique. Or, est-ce une vérité absolue et universelle d’affirmer qu’il est de l’ordre de la nature que les femmes obéissent aux hommes ? Un tel argument, ne repose-t-il pas sur une déduction subjective et masculino-centrée ? Il en va de même de l’autorité du père sur ses enfants qui est fondée dans la nature et qui consiste à veiller à leur conservation : comment peut-il justifier son autorité sur ses enfants ? Quelle est la raison qui permet de déterminer que seul le père détient le pouvoir sur ses enfants ? Est-ce que du point de vue de la nature, les enfants appartiennent exclusivement au père (si l’on considère que l’appartenance justifie l’autorité) ? Qu’en est-il de la mère ? N’a-t-elle pas un droit de pouvoir égal sur ses enfants ? On remarque que l’autorité repose exclusivement sur le pouvoir paternel toutefois rien n’opposerait du point de vue de la nature le fait que la mère obtienne ce même droit. Par conséquent, ne faudrait-il pas, comme Locke le propose, étendre ce devoir aux parents et non pas exclusivement au père ? Bref, ces deux exemples nous montrent qu’une argumentation qui repose sur une justification de type naturelle est fragile. Or, si l’on part du principe que les femmes et les hommes sont égaux à l’état de nature, et que dans le cadre du mariage les droits et devoirs des époux reposent sur un pacte volontaire (comme le pouvoir parental ou l’autorité du mari sur l’épouse), cela permet de justifier les inégalités de manière contractuelle. La justification est donc plus solide même si sa pertinence mériterait d’être questionnée.

D’autre part, si l’on reprend l’idéal du contrat social de Rousseau qui établit qu’une organisation sociale « juste » repose sur un pacte garantissant l’égalité et la liberté entre tous les citoyens, n’est-il pas en contradiction avec le fait que la femme soit dominée par l’homme ? De quelle égalité parle-t-on ? D’une égalité qui ne concerne que les hommes ? Une telle domination pose également le problème des rôles et des devoirs des hommes et des femmes dans la société civile. En effet, si comme le prétend Rousseau la femme n’a pas la capacité naturelle de se gouverner par elle-même, qu’elle est sa place dans la société civile ? La femme est reléguée à la sphère domestique et doit être sous l’autorité de son mari afin de ne pas « perturber » l’ordre politique et social. Seul l’homme accède à la vie sociale et politique. La femme n’aurait donc pas les capacités intellectuelles suffisantes pour devenir une bonne citoyenne mais juste une « bonne » femme au service de son mari. Or, qu’en est-il des nombreuses femmes qui ont occupé des postes de sénateur ou de cheffe d’État ? En effet, comment peut-on évaluer la différence de capacité de raisonnement d’un homme et d’une femme en la fondant dans la nature ? Il semble que les neurosciences actuelles sont incapables de faire ce genre de distinction. Quoi qu’il en soit, et même si la division politique est justifiée par des considérations de type « naturaliste », cette division sociale et genrée s’explique avant tout – selon Rousseau – par le passage de l’humanité de l’état de nature à la société civile : la femme, de par sa constitution naturelle, devient sédentaire et dépendante d’un mari qui doit assurer la subsistance des membres de la famille. Or, est-ce qu’un tel phénomène qui détermine les rôles et les devoirs des hommes et des femmes et qui sont fondés sur des constitutions naturelles distinctes entre les deux sexes, permet de justifier une telle division politique ? Si le rôle de la femme est essentiel à la survie de son enfant pendant les premiers mois de sa vie, doit-elle être reléguée à la sphère domestique durant toute sa vie ? Une fois de plus, Rousseau s’en remet à la nature pour prouver que la femme n’a pas sa place dans la vie politique. Bref, le contrat social repose sur une conception patriarcale qui a des conséquences directes sur la division politique des sexes.

C’est à partir de ces interrogations que C. Pateman tente de comprendre la logique du contrat qui organise les relations sociales et qui positionne la femme toujours dans une situation désavantageuse. En effet, du moment que l’idée de liberté contractuelle exclue les femmes de ce droit fondamental, nous pourrions nous interroger sur la pertinence de ce contrat ? La thèse de C. Pateman repose sur le fait que tout contrat implique un contrat de type « lockien » : à partir du moment qu’un individu, en l’occurrence un homme, est un propriétaire de sa liberté et de ses biens, il devient le propriétaire de la personne échangeable, en l’occurrence de sa femme. D’après C. Pateman, ce contrat sexuel qui se cache derrière tout contrat « légitime » l’assujettissement de l’homme sur la femme. Dès lors, qu’en est-il de l’égalité promue par le contrat social ? Comment se fait-il que dans un contexte actuel comme le nôtre où l’égalité entre les hommes et les femmes est inscrite dans la constitution, la domination de la femme est toujours d’actualité (même si cette situation a évoluée depuis le siècle des Lumières) ?

Afin de répondre à ces questions, je propose tout d’abord d’approfondir l’étymologie du terme famille. Ce détour nous amènera à mieux comprendre la filiation historique entre la notion de patriarcat et celle de la famille. Dans un deuxième temps, je présenterai la conception de la famille chez Rousseau en parcourant quelques extraits de son œuvre. Nous verrons comment le philosophe conçoit, argumente et justifie le pouvoir paternel et l’inégalité naturelle entre les hommes et les femmes. Je profiterai de mobiliser brièvement les positions de Locke et de Pufendorf afin de mettre en évidence les quelques différences conceptuelles qui existent avec la philosophie de Rousseau. A partir de là, et pour terminer, j’introduirai la critique de C. Pateman sur l’idéologie du contrat. Pour cela, il sera nécessaire de faire un détour par Rousseau pour comprendre sa façon de répartir et de justifier les rôles et les devoirs entre les deux sexes. Cette éducation genrée me permettra de présenter la notion de contrat sexuel de C. Pateman, de comprendre pourquoi la femme n’a pas sa place dans la vie politique et qu’elles sont les raisons qui provoquent une telle division politique dans la société civile.

1. Étymologie du terme « famille »

Les renseignements les plus anciens que nous avons à disposition concernant l’étymologie du terme familia remontent au IIe siècle de notre ère. Ils proviennent des lexicographes Paul Diacre et Pompeius Festus 2. Je ne vais pas ici revenir sur l’aspect lexicographique très détaillé du terme familia que R. Henrion nous propose dans son article. Il s’agit simplement de reprendre quelques éléments afin de montrer que le terme familia porte en lui la tradition familiale patriarcale.

D’après Festus, le terme familia dériverait du terme famulus qui proviendrait de famel, terme équivalent à servus 3. A l’origine, la première signification des termes famulus et familia sont les suivantes : famulus désignerait « serviteur, domestique, esclave » alors que familia signifierait « ensemble des esclaves et des serviteurs vivant sous un même toit, par opposition à la gens » 4. Selon certains lexicographes du XXe siècle, le terme famulus pourrait également signifier « l’habitant de la maison » 5alors que le terme familia aurait par la suite désigné « l’ensemble des êtres appartenant à une même maison, maître d’une part et femme, enfants, serviteurs vivant sous sa domination 6 ». Ici, la notion de maître de famille apparaît dans la signification du terme alors que ce n’était pas le cas à l’origine. Toutefois, ces définitions restent des hypothèses et peuvent être remises en question. C’est le cas du terme famulus qui, selon le philologue Wilms, ne signifiait pas que « l’esclave » mais « le participant au fas, c’est-à-dire au droit sacré de parler, de commander du pater familias » (du chef de famille). Le terme familia aurait donc désigné à l’origine « l’ensemble de ceux qui participent au fas du pater familias », c’est-à-dire l’ensemble des êtres animés (des participants 7) vivant sous le même toit du chef de famille (les habitants de la maison). Il ajoute que « ce n’est pas sans raison que l’autorité du pater familias fut appelée anciennement à Rome manus-mancipium […] Manus signifie « main » et la main est l’un des membres les plus nobles de l’homme. Elle prend, montre et ordonne. Mais elle est aussi un bouclier qui protège et sauvegarde » 8. Wilms estime donc qu’il est possible de mettre en relation le terme pater familias avec celui de manus-mancipium. Ainsi, les êtres se trouvant sous la manus-mancipium du pater familias sont en contact permanent avec ce dernier : « ils sont dans sa main » 9 mais le pouvoir se manifeste également « par des ordres oraux » 10. En effet, « seul le chef de famille avait le droit de parler, de commander. Lui seul était sui iuris, « de sa propre parole », se prescrivant à lui-même sa tâche et la façon d’exercer son autorité. Tous les autres membres de la famille étaient alieni iuris « de la parole d’un autre ». Ils étaient soumis aux ordres du pater familias 11 ».

Cette brève présentation nous montre que le terme famille présuppose l’autorité domestique et politique du chef de famille. Le pater familias « montre, ordonne, protège et sauvegarde » les membres de sa famille. Les termes famille et patriarcat sont donc des synonymes. Bref, si la tradition patriarcale de la famille a certes évolué depuis le droit romain, puisque le droit et de vie et de mort n’est plus reconnu comme un droit du pater familias, Rousseau va en hériter. Toutefois, en ce XVIIIe siècle, comment le philosophe genevois conçoit la famille ? S’éloigne-t-il de la conception patriarcale ?

2. Conception de la famille chez Rousseau

2.1. Devoir de paternité et autorité paternelle

C’est au deuxième chapitre Du contrat social que Rousseau affirme que « la plus ancienne de toutes les sociétés & la seule naturelle est celle de la famille » (Rousseau, Du contrat social, 191-192). Dans cette société « naturelle », l’homme a ce devoir premier, « sa première loi [qui] est de veiller à sa propre conservation » (191-192) et cela dès qu’il le peut. Cet acte de liberté, commun à chaque homme, ne concerne pas pour autant les enfants puisque ceux-ci sont liés au père jusqu’à ce qu’ils puissent par eux-mêmes juger des moyens propres à leur conservation. Ainsi, même si l’homme est né libre (190-191), l’enfant va dépendre de la présence et du soin de son père, et cela jusqu’à ce qu’il obtienne « l’âge de la raison ». L’enfant doit donc, « d’abord par nécessité, ensuite par reconnoissance » (Rousseau, Discours sur l’économie politique, 363-364) obéir à son père. Cette dépendance naturelle qui le lie à son père est toutefois limitée dans le temps puisque celle-ci devient caduque une fois que l’enfant devient adulte. Dès lors, l’union entre le père et le fils qui était alors naturelle devient conventionnelle (Rousseau, Du contrat social, 191-192) 12.

Pour Rousseau, ce pouvoir paternel qui est fondé sur l’autorité que le père exerce sur ses enfants est qualifié de naturel : « Le pere étant physiquement plus fort que ses enfans aussi long-tems que son secours leur est nécessaire, le pouvoir paternel passe avec raison pour être établi par la nature » (Rousseau, Discours sur l’économie politique, 362-363). Ici la légitimé du pouvoir paternel est fondée sur la force physique du père. Toutefois, comme le soulève S. Zurbuchen 13, Rousseau affirme dans Du contrat social que « force ne fait pas droit et qu’on est obligé d’obéir qu’aux puissances légitimes » (Rousseau, Du contrat social, 195-196) si bien que si l‘on exclut « la force physique comme fondement du pouvoir paternel, comment celui-ci peut-il être naturel 14 » ? Si la force ne fait pas droit, l’autorité pourrait être justifiée par le sentiment naturel qui dicterait au père ses devoirs à l’égard de ses enfants (Rousseau, Discours sur l’économie politique, 362-363) ? Toutefois, ces deux arguments qui posent aux devoirs un fondement naturel « s’avère fragile et […] pose la question de la légitimité du droit du père de commander aux enfants aussi bien qu’aux autres membres de la famille 15 ». Nous pourrions toutefois envisager que la force physique d’un père ait une certaine influence sur l’autorité de son fils (par peur, il pourrait être intimidé et par conséquent il obéirait). Mais cela relève plus d’un cas particulier qui de ce fait fragilise la légitimité d’une autorité paternelle fondée dans la nature (et qui serait universelle). Celle-ci pourrait être plus plausible si elle était nécessaire au devoir de conservation que le père doit à ses enfants. Comme nous l’avons vu, le père se doit de prendre soin de ses enfants par nécessité, parce qu’ils dépendent de sa présence, de son attention, de son amour. Cette « première loi » est valable pour tous les hommes et par conséquent pour tous les pères, et ce devoir premier pourrait effectivement se manifester par le biais d’une certaine autorité. Ainsi, ce lien d’affection, de bienveillance et de dévouement nécessaire à la survie des enfants semble à première vue un argument qui défendrait mieux l’idée d’un devoir qui reposerait sur un fondement naturel. Cet argument me semble plus légitime que ceux évoqués plus haut (la force physique ou le sentiment naturel). En ce sens, le devoir d’un père envers ses enfants pourrait être qualifié de naturel. Toutefois, ce devoir ne légitime en aucun cas que le pouvoir paternel soit basé sur un fondement naturel. Ce pouvoir repose avant tout sur une conséquence indirecte du devoir paternel. Par conséquent, la justification d’une telle autorité ne peut être qualifiée de naturelle si bien qu’elle ne peut être attribuée exclusivement au père. Dès lors, l’attribution de l’autorité dite « paternelle » pourrait concerner autant la mère que les deux parents. En effet, et du point de vue de la nature, l’enfant n’appartient pas plus à son père qu’à sa mère 16. Par conséquent, l’attribution exclusif du pouvoir du père sur ses enfants repose principalement sur des considérations culturelles et masculino-centrées, c’est-à-dire sur une conception traditionnelle de la famille basée principalement sur le patriarcat. C’est pourquoi le pouvoir paternel ne peut en aucun cas reposer exclusivement sur un fondement naturel comme le souhaiterait Rousseau. Au contraire, vouloir montrer que le pouvoir paternel est fondé dans la nature et ainsi justifié indique que le philosophe défend une conception patriarcale de la famille. Si l’on se réfère à Locke, sa théorie sur la gouvernance des enfants est plus nuancée en raison du fait qu’elle prend en considération les deux parents. Qu’en est-il exactement ?

Dans son Deuxième traité du gouvernement, Locke part du principe qu’à l’état de nature, tous les êtres humains sont libres et égaux. Or, étant dépourvus de raison, les enfants ne peuvent être indépendant : ils doivent être guidés par leurs parents jusqu’à ce qu’ils puissent devenir autonome. Cette obligation repose avant tout sur la « loi naturelle » qui contraint les parents à prendre soin de leurs enfants, à assurer leur subsistance tout en les éduquant. « Dieu leur a confié la tâche de prendre soin de leur descendance » et leur place entre les mains « l’autorité de gouverner la minorité de leurs enfants » 17. Le devoir des parents repose donc avant tout sur une obligation imposée par le Créateur. Toutefois, Locke insiste sur le fait qu’il s’agit d’un devoir des parents et non pas du père uniquement. Lui-même se demande qu’elle pourrait bien être la raison qui donne les pleins pouvoirs au père : « on se demande quelle raison permet d’élever cette sollicitude, que les parents doivent à leur descendance, au rang d’une domination absolue et arbitraire du père quand celui-ci n’exerce sur ses enfants que le pouvoir d’user de la discipline qui lui paraît la plus efficace pour la force et la santé corporelle » alors que de ce pouvoir du père « la mère en a sa part aussi » 18. Il ajoute que « le père ne détient pas cette puissance en vertu d’un titre naturel particulier, mais seulement comme gardien de ses enfants 19 » et cela de façon temporaire, c’est-à-dire jusqu’à ce que les enfants deviennent indépendants et adultes 20. Ainsi « l’empire du père cesse alors : désormais il ne peut plus disposer de la liberté de son fils 21 ». On remarque ici que Locke affirme tantôt que les parents ont l’autorité sur leurs enfants, tantôt que le père à l’autorité sur ses enfants. Il semble que le père soit reconnu comme étant l’autorité principale. Or, la mère peut avoir également ce pouvoir d’instruire son fils du moment que le père lui confie ce rôle 22. Quoi qu’il en soit, le pouvoir paternel n’est donc pas fondé dans la nature : il se réalise uniquement lors d’une union durable, celle du mariage entre un homme et une femme (l’hétérosexualité était évidente). Ici, « Locke fait découler le pouvoir des parents sur les enfants, tout comme l’obligation de ces derniers de leur obéir, de la loi naturelle 23 ». Du fait de sa connotation divine, Rousseau s’y oppose si bien qu’il se voit « obligé d’expliciter la domination des enfants par le père d’une manière différente 24 » en fondant le pouvoir paternel dans la nature, comme nous l’avons vu plus haut. Ainsi, si Rousseau reprend des éléments de la théorie de Locke, il « remplace tout simplement le pouvoir des parents sur les enfants par celui du père et dissimule ainsi que le pouvoir paternel présuppose la société conjugale 25». Le père n’obtient donc pas son pouvoir par le mariage, il le détient naturellement. Or, chez Locke, ce pouvoir paternel (qui est en fait un pouvoir parental puisque les deux parents sont concernés) est fondé au sein de la société conjugale (le mariage) 26.

Nous avons donc d’une part un pouvoir paternel qui est fondé dans la nature et d’autre part un pouvoir parental qui est fondé dans le mariage. Le pouvoir du père ou des parents sur leurs enfants diffère selon les deux philosophes parce que l’un repose sur un fondement dans la nature alors que l’autre repose sur la loi naturelle. Par conséquent, à partir du rapport de pouvoir qui se constitue entre les parents et leurs enfants, cela nous renvoie automatiquement à celui qui s’instaure dans le couple entre le mari et sa femme et à la question du droit égale à la liberté. Rappelons-nous, le besoin de dépendance des enfants mineurs par rapport à leurs parents instituait une inégalité temporaire entre les deux parties. Toutefois, celle-ci semblait peu contestable puisqu’elle était nécessaire à la survie des enfants (même si tout homme a un droit égal à la liberté). Or, qu’en est-il de l’égalité entre les deux époux ?

2.2. Droit d’égalité entre l’homme et la femme au sein du mariage

Comme nous l’avons déjà vu, Rousseau identifie la famille comme étant la seule société qui soit naturelle. Le recours à la nature impose donc un ordre naturel à la famille. C’est notamment le cas lorsque qu’il prétend que d’un point de vue de la nature, la femme n’est pas égale à l’homme. En effet, cet argument lui permet de justifier que les inégalités sociales au sein de la famille sont naturelles 27. Quant au mariage, qui lui est fondé dans la nature au même titre que la famille, il s’ensuit qu’il ne peut être une institution humaine fondée par convention 28 : il doit donc être compris comme un fait tout aussi naturel que la relation entre un père et son fils 29. Toutefois, il est contractuel dans le sens où il repose sur un consentement permettant à la femme de choisir librement son mari.

« C’est aux époux à s’assortir. Le penchant mutuel doit être leur premier lien ; leurs yeux, leurs cœurs doivent être leurs premiers guides […] Ce devoir […] est de commencer par s’aimer avant de s’unir. C’est là le droit de la nature, que rien ne peut abroger : ceux qui l’ont gênée par tant de lois civiles ont eu plus d’égard à l’ordre apparent qu’au bonheur du mariage & aux mœurs des citoyens » (Rousseau, Emile, ou de l’éducation, 286-288)

S’aimer est une chose naturelle qui prévaut l’union (le mariage arrangé n’est donc pas souhaité). Le consentement est donc indispensable parce qu’il permet de répondre à cette exigence naturelle du libre choix du partenaire, à ce devoir de s’aimer avant de se marier. Toutefois, le consentement ne va pas au-delà de cette prérogative puisqu’il n’entre pas en matière sur la question de l’autorité du mari sur sa femme. Rappelons-nous, le pouvoir paternel est fondé dans la nature : le père a le droit d’autorité sur ces enfants. Or, ce qui peut paraître surprenant, c’est que ce pouvoir paternel s’étend par principe à la femme. Ce fait serait problématique si comme Locke, Rousseau considèrerait « que dans l’état de nature, la femme aussi bien que l’homme a un droit égal à la liberté naturelle 30 ». En effet, comment concevoir que l’homme ait autorité sur sa femme si l’on considère qu’ils sont par nature des êtres égaux ? Mais le philosophe genevois s’oppose à l’idée d’une égalité entre les deux sexes en démontrant que l’existence d’une différence de nature entre l’homme et la femme conduit nécessairement à une inégalité entre les deux parties. On retrouve une première argumentation dans le Livre cinquième de Emile, ou de l’éducation « Sophie ou la femme ». Tout d’abord, et d’un point de vue général, Rousseau précise que si l’on ne tient pas compte des organes sexuels, l’homme et la femme possèdent une constitution anatomique semblable ; ils ont les « même besoins, les mêmes facultés » si bien « qu’ils ne diffèrent entre eux que du plus au moins ». Toutefois, « l’on trouve entre eux des différences générales qui paraissent ne point tenir au sexe […] que nous sommes hors d’état d’apercevoir ». Il semble que Rousseau parle ici d’éventuelles différences physiologiques et donc hormonales voire génétiques. Quoi qu’il en soit, ces différences « doivent influer sur le moral », donc sur les traits de caractères et sur les comportements de chacun d’eux. De là, la première différence constatée entre les rapports de l’un et de l’autre est que « l’un doit être actif & fort, l’autre passif & faible : il faut nécessairement que l’un veuille & puisse, il suffit que l’autre résiste peu » (Rousseau, Emile, ou de l’éducation, Livre V, 196-198). Ici, il s’agit de montrer les différences de nature qui organisent les attirances et les unions entre les deux sexes. Ainsi, et à partir de ces premières différences, Rousseau démontre qu’il n’est guère possible d’imaginer une égalité entre les deux sexes puisque leurs constitutions naturelles diffèrent. L’inégalité est donc fondée dans la nature et elle s’avère même nécessaire parce qu’elle permet de répondre à la nécessité d’un rapport de complémentarité entre l’homme et la femme 31 : sans ce rapport, « il en résulteroit bientôt la ruine de tous deux et que le genre humain périroit » (198-199). L’inégalité est donc justifiée parce qu’elle est nécessaire à la survie de l’espèce. Or, en ce qui concerne le pouvoir du mari sur sa femme, Rousseau est clair : « il est dans l’ordre de la nature que la femme obéisse à l’homme » (301-302). Le mari, en tant que chef de la famille, obtient donc le droit de gouvernance sur sa femme : « l’autorité ne doit pas être égale entre le père & la mère » (Rousseau, Discours sur l’économie politique, 363-364). Pour justifier ce pouvoir paternel étendu, Rousseau précise que s’il y a des avis qui diffèrent entre le mari et la femme, c’est à l’homme de prendre la décision (la priorité lui revient) : « il faut que le gouvernement soit un » (363-364) nous dit le philosophe. Il n’y a donc pas de place au consensus puisque c’est l’autorité du mari qui prime. La raison de cette primauté décisionnaire vient des « incommodités particulières » propres à la femme qui la pousse à des moments d’inactions : « elles sont toujours pour elle un intervalle d’inaction » (363-364) précise Rousseau 32.D’autre part, la seconde raison qui pousse Rousseau à étendre ce pouvoir paternel à la femme repose principalement sur la sécurité de la paternité. Il affirme que « le mari doit avoir inspection sur la conduite de sa femme » (363-364), c’est-à-dire qu’il doit s’assurer qu’elle n’aura pas de relation extraconjugale durant le mariage 33.

« La femme infidèle fait plus [qu’un mari infidèle], elle dissout la famille & brise tous les liens de la nature ; en donnant à l’homme des enfants qui ne sont pas à lui, elle trahit les uns & les autres, elle joint la perfidie à l’infidélité » (Rousseau, Emile, ou de l’éducation, Livre V, 203-205)

Rousseau veut s’assurer que les enfants que le père a reconnus et qu’il nourrit sont bien les siens. Si la mère commettait l’adultère, le « malheureux » père serait dans une situation de doute face à la paternité de ses propres enfants. Un père « qui doute, en embrassant son enfant s’il n’embrasse point l’enfant de l’autre » (204-205) s’avère être une trahison de la part de sa femme. De là dérive un devoir de conduite particulièrement attentif que la femme doit appliquer scrupuleusement pour ne pas faillir. L’autorité du mari sur sa femme est alors justifiée : elle permet de protéger le lien de parenté entre le père et les enfants, en somme d’assurer la consanguinité et donc de garantir la sécurité de la paternité.

De par ces faits naturels, Rousseau ne peut donc admettre que l’autorité du mari sur la femme soit fondée sur un pacte volontaire. Ce point de vue n’est pas partagé par Locke et Pufendorf qui reconnaissent que les hommes et les femmes sont libres et égaux : l’autorité de l’homme sur la femme repose dès lors sur une justification 34 qui elle repose sur une convention qui a pour objectif d’accorder les deux parties sur divers points, ce qui n’est pas le cas chez Rousseau puisque l’autorité est fondée dans la nature. Cette justification n’aurait pas de sens puisqu’il y a inégalité par principe entre les deux sexes au niveau de la nature (aucune convention est alors nécessaire pour justifier une telle inégalité entre l’homme et la femme). Par conséquent, l’autorité au sein du mariage est attribuée exclusivement au père pour des raisons qui sont de l’ordre de la nature (ce qui exclut l’idée d’une égalité entre les deux parties). Ce type d’argumentation permet à Rousseau de légitimer l’autorité de l’homme sur la femme et donc d’écarter l’idée de l’égalité et de la liberté naturelle de la femme 35. Ainsi, le consentement au sein du mariage dont nous parle Rousseau et qui permet à la femme de choisir librement son futur mari ne lui permet toutefois pas de s’extraire de l’autorité de son mari car celle-ci est convenue d’avance, elle est inscrite dans l’ordre naturel des choses. Autrement dit, le consentement n’est là que pour permettre que l’inégalité naturelle entre homme et femme se réalise de manière « officielle » dans le mariage.

Si l’on se réfère brièvement à Pufendorf, nous avons vu « que tous les Hommes sont naturellement égaux, en sorte qu’aucun d’eux n’a aucune autorité sur les autres, s’il ne l’a acquise en vertu de quelque acte, ou de leur part, ou de la sienne 36 ». L’homme n’a donc pas le droit d’autorité sur sa femme puisqu’ils sont « naturellement égaux ». Par conséquent, s’il y a autorité de l’homme sur la femme, celle-ci ne pourrait être accordée que s’il y a consentement de la part de la femme. C’est la raison pour laquelle le mariage est fondé sur une convention. Ainsi, dans le cadre du « mariage régulier », l’engagement entre les deux parties repose sur une série d’articles 37. Le troisième est particulièrement intéressant car il stipule « qu’en raison de la constitution naturelle des sexes, la condition de l’Homme doit être “ un peu plus avantageuse que celle de la Femme “, et que l’homme doit devenir le chef de la famille dans laquelle entre la femme. Il s’ensuit que la femme “ est soumise à la direction du Mari en tout ce qui concerne les affaires du Mariage et de la famille ” » 38. La femme ne peut donc échapper à la domination de son mari puisque le mariage repose sur un article qui l’oblige à accepter cette condition si elle souhaite se marier. Le mariage sert donc à légitimer la soumission de la femme à la direction du mari. Cela est d’autant plus étonnant si l’on se réfère à l’égalité naturelle entre les deux sexes. En effet, comment Pufendorf peut-il soutenir qu’il y a, selon la loi naturelle, égalité naturelle entre les hommes et les femmes si celle-ci disparait ensuite dans le cadre du mariage ? Si l’on affirme qu’une égalité est naturelle, elle ne peut pas disparaitre, c’est impossible puisqu’elle est de l’ordre de la nature. Sauf une loi ou une convention permettrait de dire que malgré l’égalité naturelle, il n’y a pas égalité d’un point de vue juridique (mais l’égalité naturelle n’a pas pour autant disparue). Pourtant, c’est ce qui semble se passer dans le cadre du mariage régulier puisque la femme accepte finalement une inégalité qui repose sur une convention qui stipule que l’autorité sera attribuée au chef de famille (à l’homme). Faut-il comprendre que la convention surpasse en quelque sorte l’égalité naturelle et l’annule sans pour autant nier que celle-ci soit effectivement un fait naturel ? C’est semble-t-il le cas puisque même si les êtres humains sont égaux par nature, le mariage permet de justifier des inégalités contractuellement. La question est de savoir comment peut-on respecter l’égalité naturelle malgré une justification de l’inégalité ? Pufendorf précise que l’autorité du mari sur sa femme a des limites : il n’a « ni le droit de vie et de mort, ni le droit de punir, ni le droit de disposer de tous ses biens 39 ». On retrouve des similarités chez Locke qui stipule que « la fin du mariage n’exige nullement l’attribution d’un tel pouvoir au mari », celui de « la puissance de vie et de mort et cette souveraineté absolues 40 » sur sa femme. Quant à l’autorité du mari sur sa femme, celle-ci est justifiée par un pacte volontaire dans le cadre du mariage. Toutefois, « le pouvoir de décision finale, c’est-à-dire le commandement […] échoit naturellement à l’homme qui est le plus capable et le plus fort [mais] le mari n’acquiert pas plus de pouvoir sur sa vie à elle [sa femme], qu’elle n’en possède sur la sienne à lui 41 ».

Bref, qu’il y ait initialement une inégalité reconnue au niveau de la nature entre les deux sexes (Rousseau) ou une égalité à l’état de nature entre l’homme et la femme (Pufendorf et Locke), la condition de la femme n’échappe pas à une domination de la part de son mari. Cette autorité du pater familias est simplement justifiée de manière différente. Elle semble toutefois plus nuancée chez Pufendorf et Locke puisqu’elle repose avant tout sur une convention ou un pacte volontaire entre les futurs époux dans le cadre du mariage. Toutefois, et malgré cet aspect contractuel, l’égalité entre les deux sexes n’est pas respectée. On ne comprend guère qu’un tel contrat qui engage les deux époux dans une union libre ne permette pas à la femme de consentir ou pas à l’autorité de son mari ? Un tel contrat ne devrait-il pas reposer sur un droit qui permettrait de respecter l’égalité initiale de l’état de nature entre les deux sexes 42 ? Ainsi, l’homme n’aurait pas le droit d’autorité sur sa femme. Or, l’aspect contractuel du mariage ne lui permet pas d’obtenir un tel droit d’égalité de pouvoir. Par conséquent, la nécessité d’une telle convention ne semble guère utile pour normaliser cette relation de pouvoir. Finalement, en fondant l’inégalité dans la nature, Rousseau n’a pas besoin de la justifier par une convention si bien qu’il évite une sorte de contresens que l’on retrouve chez Pufendorf et Locke où le mariage réalise une inégalité qui n’existe pas dans l’état de nature.

Quoi qu’il en soit, et de manière générale, il semble qu’il y ait un manque de volonté de la part des philosophes contractualistes de vouloir faire évoluer le statut de la femme. Est-ce principalement pour des raisons culturelles ? Certaines conceptions semblent si ancrées au sein d’une culture qu’elles sont alors perçues par les individus de cette même société comme naturelles alors qu’elles sont avant tout culturelles. La tradition patriarcale de la famille qui remonte à l’antiquité grecque n’a pourtant rien de naturelle : elle est avant tout culturelle au même titre que l’autorité masculine du chef de famille 43. Par conséquent, Rousseau voit dans un fait culturel un ordre naturel. Il semble qu’il n’ait pas la volonté de vouloir remettre en question la conception traditionnelle de la famille, au même titre que Pufendorf et Locke. Au contraire, ces auteurs lui donnent une nouvelle forme : « loin que les théoriciens du contrat aient détruit le patriarcalisme, ils ont inventé une forme moderne et contractuelle de patriarcalisme 44 ». La relation contractuelle est alors identifiée à de l’esclavage pour une féministe comme C. Pateman. En effet, l’auteure va critiquer l’idéologie du contrat qui, présenté comme une libération pour tous de l’oppression et de l’arbitraire, ne règle pas la problématique de l’inégalité et donc de la domination de l’homme sur la femme 45. Qu’en est-il exactement ?

3. Critique de la philosophie de Rousseau par C. Pateman

« Par quel étrange paradoxe le contrat social, censé instituer la liberté et l’égalité civile, a-t-il maintenu les femmes dans un état de subordination ? Pourquoi, dans le nouvel ordre social, celles-ci n’ont-elles pas accédé, en même temps que les hommes, à la condition d’individus émancipés ? 46 » C. Pateman tente de répondre à ces questions en revenant aux théories classiques contractualistes afin de comprendre « la logique des contrats qui organisent les relations sociales dans les sociétés occidentales contemporaines 47 ». Sa thèse est de montrer que derrière le contrat social se cache un « contrat sexuel » qui « soumet préalablement les femmes aux hommes dans la sphère privée, et met leur corps et leur force de travail à la disposition des hommes […] L’égalité promue par le contrat social ne concerne donc que les hommes, et elle se fait au prix de l’asservissement domestique des femmes 48 ». On retrouve ce phénomène dans le contrat du mariage qui, librement initié, engage la femme dans un statut qui lui est toujours désavantageux 49. Ce qui peut surprendre, c’est que ce fait est toujours d’actualité alors que nous ne sommes plus dans un contexte inégalitaire comme c’était le cas aux XVIIIe siècle. Pour comprendre ce phénomène d’asservissement, je propose de revenir au texte Emile, ou de l’éducation de Rousseau avant de présenter l’argumentation de C. Pateman. Ce détour a l’avantage de montrer comment le philosophe répartit et justifie d’une part les devoirs et les rôles entre les deux sexes, que ce soit au sein du mariage ou dans la société civile et d’autre part l’autorité du mari sur sa femme.

3.1. Devoirs et rôles de la femme selon Rousseau : une éducation genrée

« Sophie doit être femme comme Émile est homme, c’est-à-dire avoir tout ce qui convient à la constitution de son espèce & de son sexe pour remplir sa place dans l’ordre physique & moral. Commençons donc par examiner les conformités & les différences de son sexe & du nôtre. » (Rousseau, Emile, ou de l’éducation, Livre V, 196-197)

Cette première phrase qui introduit « Sophie ou la femme » pose un premier constat : la constitution naturelle de chaque sexe détermine leurs rôles et leurs devoirs. Rousseau va donc reposer toute son argumentation sur ce fait naturel qui différencie les deux sexes. Il souhaite démontrer que d’une part les devoirs au sein de la famille ne peuvent être les mêmes entre l’homme et la femme, et que d’autre part il serait insensé de vouloir les inverser. Rousseau va proposer une série d’exemples qui justifieront son argumentation naturaliste reposant sur l’évidence d’une inégalité entre les deux sexes. Ainsi, en établissant mais surtout en démontrant que son argumentation repose sur des évidences naturelles (anatomiques, physiologiques et psychologiques), Rousseau se protège contre d’éventuelles objections qui tenteraient de remettre en question la plus ancienne forme de domination, celle de l’homme sur la femme (nous verrons que son argumentation n’est pas aussi solide qu’il pourrait le prétendre). Bref, partons d’un premier argument du philosophe genevois qui stipule que la femme est habitée par un désir sexuel illimité, un instinct sexuel qui semble prédominant et dont elle ne peut se débarrasser sans la pudeur qui est là pour le contenir.

« L’Être suprême a voulu faire en tout honneur, a l’espèce humaine : en donnant à l’homme des penchants sans mesure, il lui donne en même temps la loi qui les règle, afin qu’il soit libre & se commande à lui-même ; en le livrant à de passions immodérées, il joint à ces passions la raison pour les gouverner ; en livrant la femme à des désirs illimités, il joint à ces désirs la pudeur pour les contenir » (Rousseau, Emile, ou de l’éducation, Livre V, 199-200)

La raison gouverne l’homme et lui permet de contenir ses penchants alors que la pudeur permet de contenir les désirs illimités de la femme 50. Cette propension à se retenir est donc une capacité naturelle chez la femme qui doit toutefois en faire un bon usage. Cela l’amènera entre autres à ne pas sombrer dans l’infidélité qui rappelons-nous à comme conséquence de dissoudre la famille et briser tous les liens de la nature. La chasteté est donc un devoir que les femmes se doivent de suivre et cela en va de leur honneur et de leur réputation. Et cette pudeur rend les femme « vraies » car si celles-ci ont « encore de la honte », qu’elles savent cacher leurs désirs, elles seront « les plus sincères, les plus constantes dans tous leurs engagements », en somme elles seront des femmes de confiance (257-259). Ainsi, Rousseau en conclut que « de ces principes dérive, avec la différence morale des sexes, un motif nouveau de devoir & de convenance, qui prescrit spécialement aux femmes l’attention la plus scrupuleuse sur leur conduite, sur leurs manières, sur leur maintien » (204-205). La différence des constitutions naturelles entre les deux sexes a donc des conséquences sur les dispositions morales de l’homme et de la femme. Chacun doit se conduire différemment selon des prédispositions naturelles qui leurs sont propres. C’est la raison pour laquelle Rousseau peut affirmer que de vouloir « soutenir vaguement que les deux sexes sont égaux, & que leurs devoirs sont les mêmes, c’est se perdre en déclamations vaines » (204-205). Par conséquent, du fait de la « rigidité des devoirs relatifs des deux sexes », les femmes ont tout simplement tort de se plaindre d’une soi-disant « injuste inégalité », que ce soit dans le cadre du devoir de chasteté ou du fait que « la nature [les] ont chargés du dépôt des enfants » (203-204). Bref, chacun à ses rôles et ses devoirs et l’on ne peut nier ce fait du moment qu’il repose sur des constitutions naturelles différentes.

A partir de ce constat qui délimite l’attribution des devoirs propres aux deux sexes, Rousseau va proposer une sorte de programme d’éducation destiné aux filles afin que ces dernières deviennent de « bonnes » femmes. Ainsi, Sophie recevra une éducation différente de celle d’Émile, une éducation qui reposera sur une distinction genrée entre ce que doit faire l’homme et ce que doit faire la femme pour répondre aux exigences posées par les différences de nature entre les deux sexes 51.

« Dès qu’une fois il est démontré que l’homme & la femme ne sont ni ne doivent être constitués de même, de caractère ai de tempérament, il s’ensuit qu’ils ne doivent pas avoir la même éducation. En suivant les directions de la nature, ils doivent agir de concert, mais ils ne doivent pas faire les mêmes choses » (Rousseau, Emile, ou de l’éducation, Livre V, 207-208)

L’objectif est donc de former une femme qui convienne à l’homme ! On retrouve chez Rousseau cette idée de complémentarité qui domine toute son argumentation 52. Si chacun des deux sexes est éduqué comme il se doit, en fonction de ses dispositions naturelles, cela permettra d’atteindre une certaine forme d’harmonie au sein du couple, de la famille et de la société. Ainsi, « toute l’éducation des femmes doit être relative aux hommes. Leur plaire, leur être utiles, se faire aimer & honorer d’eux, les élever jeunes, les soigner grands, les conseiller, les consoler, leur rendre la vie agréable & douce : voilà les devoirs des femmes dans tous les temps, & ce qu’on doit leur apprendre dès leur enfance » (211-212). Rousseau ajoute que « si la femme est faite pour plaire & pour être subjuguée, elle doit se rendre agréable à l’homme au lieu de le provoquer ; sa violence à elle est dans ses charmes c’est par eux qu’elle doit le contraindre à trouver sa force & a en user » (198-199). Cette démarche pédagogique vise à ne pas faire des femmes des hommes car si nous prenons « le parti de les élever comme des hommes ; ils y consentiront de bon cœur. Plus elles voudront leur ressembler, moins elles les gouverneront, & c’est alors qu’ils seront vraiment les maîtres » (208-209). Cela répond à l’inégalité des facultés communes qui ne sont point partagées par les deux sexes. Ainsi, vouloir se borner à aller contre ce fait édicté par la nature, c’est-à-dire vouloir « cultiver dans les femmes les qualités de l’homme, & négliger celles qui leur sont propres, c’est donc visiblement travailler à leur préjudice » (209-210). Ce serait donc un tort de vouloir éduquer Sophie comme Émile. Bien au contraire, il s’agit de proposer à Sophie une éducation qui lui corresponde le mieux (en fonction de sa nature) et avant tout pour son bien. Par conséquent, ce choix d’une éducation genrée n’est pas le résultat d’une mauvaise volonté de l’homme à vouloir asservir la femme. Rousseau se défend à ce sujet en ajoutant qu’il ne s’agit pas de faire de sa compagne « une servante », de « l’élever dans l’ignorance » ou de la « priver du plus grand charme de la société », ou de faire d’elle « un véritable automate », il faut simplement qu’elle apprenne des choses qui lui « convient de savoir » (209-211). Toutefois, cela ne doit pas pour autant empêcher les femmes à se cultiver puisque « la nature » veut « qu’elles pensent, qu’elles jugent, qu’elles aiment, qu’elle connoissent, qu’elles cultivent leur esprit » (209-210). Parmi quelques exemples, Rousseau nous indique que les filles « apprennent avec répugnance à lire & à écrire ; mais quant à tenir l’aiguille, c’est-ce qu’elles apprennent toujours volontiers » (217-218). Il précise également que la science et le fait de « généraliser les idées » n’est point du ressort de la femme. Le manque de « justesse & d’attention » ne permet pas au deuxième sexe de s’adonner à la science exacte où aux connaissances physiques. N’ayant pas les capacités à ce type de réflexion, le rôle de la femme est relégué à l’aspect pratique de la chose, c’est-à-dire à « l’application des principes que l’homme a trouvés & c’est à elle de faire les observations qui mènent l’homme à l’établissement des principes » (259-260). Par conséquent, « la femme a plus d’esprit, & l’homme plus de génie ; la femme observe, et l’homme raisonne ». Cette distinction prouve la supériorité intellectuelle de l’homme sur la femme : le premier théorise et possède une capacité d’abstraction alors que la seconde ne fait qu’appliquer les principes. Toutefois, la femme a le devoir d’étudier « à fond l’esprit de l’homme », un esprit à laquelle « elle est assujettie, soit par la loi, soit par l’opinion » tout simplement pour lui plaire (260-261). Ainsi, « toutes les réflexions des femmes […] doivent tendre à l’étude des hommes ou aux connaissances agréables » qui les concernent. Car « l’essentiel est d’être ce que nous fit la nature » (259-260). Dès lors, la constitution naturelle établit des prédispositions intellectuelles et de pouvoir entre les deux sexes qui divergent. L’assujettissement de la femme par l’homme est donc fondé dans la nature et cela pour des raisons qui reposent sur deux de ses principaux défauts tels que « l’oisiveté & l’indocilité » qui sont les « plus dangereux » pour elle 53. Pour parer à cette difficulté, l’éducation de Sophie doit reposer sur l’exercice de la contrainte afin qu’elle puisse maîtriser cette paresse ou cette indiscipline qu’elle possède par nature. Pour cela, elle doit être « vigilante » et « laborieuse » et doit apprendre à être « gênée » le plus tôt possible (220-221). L’acquisition de la docilité est donc primordiale pour les femmes :

« puisqu’elles ne cessent jamais d’être assujetties ou à un homme, ou aux jugements des hommes, & qu’il ne leur est jamais permis de se mettre au-dessus de ces jugements. La première & la plus importante qualité d’une femme est la douceur : faite pour obéir à un être aussi imparfoit que l’homme, souvent si plein de vices, & toujours si plein de défauts, elle doit apprendre de bonne heure a souffrir même l’injustice & à supporter les torts d’un mari sans se plaindre » (Rousseau, Emile, ou de l’éducation, Livre V, 222-223)

La soumission de la femme est une fois de plus exposée ici de manière explicite par Rousseau. La condition de la femme est peu réjouissante puisqu’elle doit se plier aux ordres d’un homme imparfait. C’est à elle seulement de faire l’effort de souffrir de cette situation qui semble naturelle et immuable. L’homme est tel qu’il est et malgré ses vices, il n’a aucun effort à faire pour tenter d’améliorer la situation : sa femme est condamnée à lui obéir sans se plaindre. Toutefois, soulevons que cette disposition à la souffrance ne repose pas uniquement sur une constitution naturelle puisque la femme doit apprendre à souffrir les torts et l’injustice de son époux. Une éducation adaptée à sa disposition naturelle est donc indispensable. Un tel apprentissage va lui permettre de se surpasser ou de transcender sa nature pour satisfaire les exigences de l’homme. En ce sens, elle doit aller contre sa nature pour devenir une bonne femme. Par conséquent, cette faiblesse propre à la femme l’oblige à apprendre quelque chose qui va à l’encontre de sa propre nature. L’éducation est donc nécessaire pour que l’action morale puisse surpasser un penchant naturel qui l’emporterait s’il n’était pas maîtriser. Ici, l’action morale s’oppose à la nature si bien que les dispositions morales qui dérivent des constitutions naturelles doivent être régulées par une éducation adaptée. Si Rousseau fonde les dispositions morales dans la nature, il doit admettre qu’elles sont également le résultat d’une éducation. Par conséquent, les dispositions morales sont à la fois le résultat d’une éducation et d’une constitution naturelle particulière.

Ce programme d’éducation destiné à Sophie et ses « consœurs » ressemble plus à une exigence masculine que naturelle. Les défauts des femmes comme l’oisiveté ou la frivolité reposent avant tout sur un jugement que sur un fait naturel. C’est le cas notamment des capacités réflexives des femmes ou de leurs désirs illimités. Prétendre que les dispositions morales dérivent des constitutions naturelles est une manière de fonder une argumentation mais cela ne permet en aucun cas de prouver qu’il s’agit d’une vérité absolue. La méconnaissance de la psychologie et de la physiologie humaine à laquelle Rousseau était confrontée en ce XVIIIe siècle ne lui permettait pas d’affirmer de telles vérités. Pourtant, le philosophe tente de construire une argumentation objective à partir de sa propre observation de faits « naturels » alors que celle-ci repose avant tout sur des déductions subjectives et masculino-centrées (la nature n’explique pas tout). Toutefois, il ne faut pas omettre le contexte historique dans lequel Rousseau se trouve et le poids des traditions qui pèse sur la conception patriarcale de la famille au sein de la société (notamment religieuse). Cet aspect aurait-il pu influencer la pensée du philosophe genevois et à le restreindre d’un élan réformateur sur la question de la famille ? Était-ce le fond de sa pensée ? Quoi qu’il en soit, l’inégalité naturelle des deux sexes, la domination de l’homme sur la femme et le discours genré tel que nous avons pu le voir dans l’œuvre du philosophe n’ont pas échappés aux critiques féministes contemporaines, et notamment à celles de C. Pateman.

3.2. Le contrat sexuel

Dans Le contrat sexuel, si l’auteure s’intéresse à des philosophes tels que Hobbes, Locke ou Kant, je propose de me limiter à sa critique de la philosophie de Rousseau afin ne pas dépasser le format de ces pages. Cette critique vise à démontrer que le contrat n’élimine pas la domination masculine, c’est-à-dire « l’exploitation par l’homme du corps de la femme et de sa force de travail gratuitement mise à disposition 54 ». Au contraire, l’idée de liberté contractuelle est plutôt défavorable aux femmes. Cela repose sur le fait que le contrat sexuel (qui repose sur une situation hypothétique où il n’y a pas d’accord passé entre les hommes et les femmes) est un contrat « de type lockien » qui est basé sur l’idée qu’un individu, en l’occurrence un homme, est un propriétaire de ses terres, de ses richesses, de sa liberté et de son corps. Or, selon C. Pateman, une telle conception du contrat précède tout contrat : d’une part il « met les femmes en position de devenir des propriétés potentielles des hommes » (du fait que le propriétaire – l’homme – est propriétaire de la personne échangeable – la femme) et d’autre part il libère uniquement les hommes à se consacrer à l’activité citoyenne (seul l’homme est propriétaire de sa liberté) 55. Ce contrat hypothétique et masculino-centré prédomine ainsi tout autre contrat et détermine les rôles et les libertés des hommes et des femmes, et cela toujours dans le but d’avantager les hommes. L’inégalité entre les deux sexes semble implicite au premier abord mais elle se confirme dans la pratique. L’idée du contrat sexuel qui est fondée sur la personne propriétaire doit donc évoluer si l’on souhaite que le mariage soit plus favorable aux femmes.

3.3. La femme : une source perpétuelle de désordre

En vue de ce qui vient d’être dit, la femme devient la propriété de son mari et est reléguée à son rôle domestique que l’homme lui a attribué. Par conséquent, seul l’homme peut se consacrer à l’activité citoyenne. Cette distribution des rôles entre le privé et le public remonte à des temps anciens précise Rousseau et elle coïncide avec l’émergence de la socialisation des individus. C’est en effet à partir du moment où l’humanité passe de l’état de nature à la société civile qu’une division des tâches s’opère entre les deux sexes. De là s’inscrit une dépendance des femmes envers les hommes :

« ce fut alors que s’établit la premiere différence dans la maniere de vivre des deux sexes, qui jusqu’ici n’en avoient eu qu’une. Les femmes devinrent plus sédentaires, & sʼaccoutumerent à garder la cabane & les enfans ; tandis que l’homme alloit chercher la subsistance commune » (Rousseau, Discours sur l’inégalité, 92-94)

L’habitation commune qui n’existait pas à l’état de nature fit réunir les membres de la famille (le père, la mère et les enfants) sous le même toit. La femme devint sédentaire et son rôle fût rattaché aux tâches domestiques alors que l’homme dû assurer la subsistance de ses hôtes. Ainsi « chaque famille devint une petite société » (92-93). La femme fût donc écartée de la vie sociale parce que sa constitution naturelle la destinait uniquement à la vie domestique. Elle devint également dépendante de son mari. Rappelons-nous, dans L’Émile, ou l’éducation, les dispositions morales dérivent des constitutions naturelles. Que ce soit ses désirs illimités où son manque de « justesse & d’attention » et son incapacité à « généraliser les idées », tous ces éléments ne peuvent « développer la moralité requise dans la société 56 ». C’est la raison pour laquelle « la loi même de la nature [fait que] les femmes, tant pour elles que pour les enfants, sont à la merci des jugements des hommes » (Rousseau, L’Émile, ou l’éducation, Livre V, 210-211). Cet assujettissement de la femme à l’homme devient donc indispensable car seule la pudeur (présente naturellement chez la femme) ne permet de contenir les désirs illimités des femmes (elle n’est pas suffisante pour les maîtriser totalement). Quant aux hommes, la différence est notable : ils « peuvent user de la raison pour maîtriser leur sexualité, et œuvrer ainsi à la création et au maintien de la société politique 57 ». Par conséquent, les femmes, dépourvues de la capacité de sublimer leurs passions, deviennent « une source perpétuelle de désordre 58 » si bien qu’elles doivent « être rigoureusement excluent de la vie politique afin que l’ordre soit préservé 59 ».

Cette capacité de l’homme à se gouverner lui-même doit donc être mise au profit de la femme par le biais d’une autorité permanente sur sa personne. Ce n’est qu’en instituant un asservissement constant que cette tendance féminine au désordre sera maîtrisée. La raison est simple : il s’agit de préserver l’ordre social du désordre des femmes. Dès lors, « une femme qui n’obéit pas met en danger la société civile 60 ». Elle doit donc obéir tout en étant écartée de la vie sociale. Rousseau ne résiste pas à exprimer ce désordre féminin dans une de ses phrases qui semble être tirée d’une expression populaire : « jamais peuple n’a péri par l’excès du vin, tous périssent par le désordre des femmes 61 » (Rousseau, Lettre à d’Alembert, 564-565). Même s’il parle ici des conséquences négatives de l’excès de consommation de vin, cela montre que ce désordre propre aux femmes est probablement partagé par d’autres hommes de son époque. Toutefois, le philosophe n’hésite pas à l’exprimer plus sérieusement dans l’Émile :

« il est constant que les meilleurs ménages sont ceux où la femme a le plus d’autorité : mais quand elle méconnaît la voix du chef, qu’elle veut usurper ses droits et commander elle-même, il ne résulte jamais de ce désordre que misère, scandale et déshonneur » (Rousseau, Emile, ou de l’éducation, Livre V, 302-303)

Si la femme tente de s’attribuer le rôle du chef de famille, cela n’aboutira qu’a un désastre 62. Or, selon Rousseau, la femme n’est pas complètement responsable de ce désordre : le mari a également sa part de responsabilité, soit parce qu’il a mal choisi sa femme, soit parce qu’il l’a mal gouvernée (482-483). Par conséquent, une bonne femme dépend également de la qualité et de la fermeté de la gouvernance de son mari puisque son obéissance permet de garantir l’ordre dans la sphère familiale et dans la société civile. On remarque ici qu’il y a de la part de la femme une certaine résistance à cette obéissance puisqu’elle peut être « mal gouvernée » par son mari. Or, rappelons-nous, Rousseau affirmait « qu’il est dans l’ordre de la nature que la femme obéisse à l’homme » (301-302). On ne voit pas comment une femme pourrait résister à l’obéissance si c’est dans sa nature d’obéir. Bref, la femme doit obéir à son mari pour atténuer sa tendance au désordre, elle doit lui plaire et être agréable avec lui, c’est-à-dire faire en sorte que la sphère domestique soit la plus harmonieuse possible. Car pour être « un bon mari et un bon citoyen, l’homme doit avoir une bonne femme 63 ». Chacun son rôle, chacun sa place dans la société. L’espace domestique est donc réservé aux femmes : « la famille est « l’empire de la femme », alors que les hommes « doivent avoir leurs propres cercles politiques et sociaux, de façon qu’ils puissent s’éduquer politiquement et renforcé leur citoyenneté, hors de portée des femmes et de leur influence débilitante et subversive 64 ». Par conséquent, la vie politique est réservée uniquement aux hommes et cela dans le seul but de prévenir du désordre naturel engendré par les femmes (elles mettent en danger la société civile 65). « Les sexes doivent être séparés dans tous les aspects de la vie 66 » pour garantir l’ordre politique.

3.4. Signification politique du corps de la femme

Lorsque le passage de l’état de nature à la société civile se produit, le contrat originel présuppose que les passions et les inclinations particulières soient contenues par la raison : tous les individus sont alors liés par des lois universelles qu’ils doivent appliquer 67. Or, rappelons-nous, c’est dans l’Émile que Rousseau affirmait la supériorité intellectuelle de l’homme sur la femme :« la recherche des vérités abstraites & spéculatives, des principes, des axiomes dans les sciences, tout ce qui tend à généraliser les idées n’est point du ressort des femmes »(259-260). Les femmes ne semblent pas pourvoir raisonner de la même façon que les hommes si bien qu’elles sont incapables « d’appliquer leur raison aux exigences de l’ordre universel 68 ». C’est la raison pour laquelle « les femmes doivent être soumises aux hommes parce qu’elles troublent naturellement l’ordre politique des hommes 69 ».A cette absence de raisonnement s’ajoute celui du manque d’un sens de justice. En effet, lorsque la société civile est créée, la conduite des individus est censée passer de l’instinct à la justice (mais cette transformation s’opère uniquement chez les hommes). Or, les femmes sont dans l’incapacité de développer le sens de la justice nécessaire au maintien de l’ordre civile et à défendre la loi civile universelle en tant que citoyenne 70. Ainsi, le manque d’un raisonnement adapté et d’un sens de la justice ne permettent pas aux femmes de prendre part au contrat originel. « Les femmes sont incapables de développer la morale politique requise des membres de la société civile ». Elles sont même « l’opposée du droit civil ; elles représentent tout ce que les hommes doivent maîtriser pour faire advenir la société civile 71».

Ainsi, le contrat social organise la société à partir d’une distinction genrée. D’un côté, le genre masculin où l’homme doué d’une raison suffisamment étoffée et adaptée à la vie politique, peut jouir de sa liberté, d’une vie sociale et politique en prenant part pleinement à l’activité citoyenne. De l’autre côté, le genre féminin où la femme privée de liberté et obéissante à l’autorité de son mari, est reléguée à la sphère domestique et aux tâches qui lui incombent. Cette division politique a des répercussions directes sur le corps de la femme puisqu’il « doit toujours être soumis à la raison et aux jugements des hommes pour que l’ordre ne soit pas menacé 72 » (ce n’est qu’en transcendant ses désirs illimités que l’ordre social pourra être créé et conservé). Le corps de la femme est donc sous l’autorité du mari et sa sexualité en dépend. Comme le souligne C. Pateman, « les théoriciens classiques du contrat à l’exception de Hobbes suggèrent qu’il est naturel que les hommes aient l’initiative et le contrôle de l’activité sexuelle 73 » des femmes. Dans l’éducation de Sophie, Rousseau soutient que pour qu’elles indiquent leur désir, les femmes doivent dire « non » pour signifier « oui » ! Or, une telle règle ne permet pas de distinguer le « vrai » non du « non » qui veut dire « oui ». La femme est donc soumise sexuellement par son mari : elle doit lui dire « oui », peut-être pour lui plaire, peut-être pour ne pas se plaindre, mais assurément pour lui obéir. L’accord mutuel entre les deux sexes n’a pas lieu d’être puisque la femme est faite naturellement pour obéir 74. Cela rejoint l’idée du contrat sexuel où l’homme est propriétaire de la personne échangeable, en l’occurrence de la femme et donc de son corps. Ainsi, si l’on réfère à l’aspect contractuel du mariage, il ne peut que présupposer le contrat sexuel : même si le mariage est fondé sur l’amour (par le consentement du libre choix du partenaire), il est une manière de formaliser et de légitimer le contrat sexuel. Cette inégalité de deux sexes qui est fondé dans la nature est réalisé contractuellement dans la famille et dans la société civile. Elle ne correspond pourtant pas à l’idéal Du contrat social où Rousseau établit qu’une organisation sociale « juste » repose sur un pacte garantissant l’égalité et la liberté entre tous les citoyens. Le terme « citoyen » semble ne pas concerner les femmes.

Conclusion

Une argumentation fondée dans la nature reste problématique parce qu’elle est difficilement justifiable. Nous avons vu à plusieurs reprises que les arguments que Rousseau avance sont contestables. Le philosophe semble développer toute une stratégie argumentaire pour ne pas remettre en question la conception traditionnelle de la famille. Ce conservatisme s’oppose à l’idée du philosophe qui doute et remet en cause la tradition. Au contraire, Rousseau apporte une nouvelle argumentation pour renforcer d’une part et tenter d’autre part de justifier la tradition patriarcale. On pourrait s’interroger sur ce souhait de vouloir justifier le patriarcat ? Est-ce de la part du philosophe genevois une conviction personnelle liée à certaines croyances qu’il tente de défendre où est-ce simplement la peur de remettre en cause et publiquement une tradition bien ancrée ? Est-ce que le fait de soutenir la domination de la femme par l’homme n’est pas en partie le résultat de quelques mauvaises expériences sentimentales vécues par Rousseau ? Car le fait qu’il insiste à plusieurs reprises sur l’adultère et les désirs illimités des femmes est surprenant. Est-ce que le philosophe s’est senti trahi par certaines femmes 75 ? Je pense particulièrement à la baronne Françoise-Louise de Warens et ses multiples amants qui semble avoir affecté le philosophe dans sa confiance envers les femmes 76. Si c’est le cas, l’éducation de Sophie serait peut-être une réponse à cette problématique empirique.

D’autre part, on ne peut qu’être étonné de l’incohérence entre l’idéal d’égalité et de liberté du contrat social et l’inégalité entre les deux sexes voulue et justifiée au sein de la famille et dans la société civile. On suppose que du moment qu’il y a une inégalité de nature, l’égalité contractuelle ne peut transcender cette différence. De par leur nature, les femmes sont donc par définition exclue du contrat. Et si une des raisons de cette exclusion repose sur le fait que les femmes sont une source perpétuelle de désordre – ce qui a pour conséquence de mettre en péril l’ordre social – Rousseau se contredit lorsqu’il affirme : « Mais soyons justes envers les femmes ; la cause de leur désordre est moins en elles que dans nos mauvaises institutions » Rousseau, Julie ou la nouvelle Héloise, Lettre des deux amans, Habitant d’une petite ville au pied des Alpes, (XXXIV-XXXV). Leur défaut de ne pas pouvoir se gouverner par elles-mêmes ne serait pas fondé dans la nature mais principalement dans les institutions. Une mauvaise éducation serait donc la principale source du désordre des femmes. Cela rejoint une fois de plus l’objectif d’éducation dans « Sophie ou la femme » où la femme doit apprendre à maîtriser sa conduite (on remarque que Rousseau attribue une très grande importance à l’éducation). Toutefois, Rousseau propose une éducation genrée où l’homme gouverne et la femme obéit, une éducation qui repose sur une différence de constitution naturelle, ce qui ne résout ni le problème d’inégalité ni celui de soumission de la femme.

De manière générale, je remarque qu’il n’y a pas une volonté de la part des philosophes de vouloir remettre en cause la conception patriarcale de la famille. Même si Pufendorf et Locke sont plus modernes dans leur approche contractuelle du mariage, la femme reste autant dominée que dans la conception rousseauiste. La philosophie politique qui souhaite faire de la société civile une société juste et égale entre tous ne parvient pas à rendre la situation de la femme plus avantageuse et égale à l’homme. La famille représente bien cet échec 77. La critique de C. Pateman est d’ailleurs éclairante dans le sens où elle met en évidence que l’égalité promue par le contrat social ne concerne que les hommes, une égalité qui se fait « au prix de l’asservissement domestique des femmes ». Aujourd’hui encore, et malgré les droits de l’homme, le droit de la famille, le droit des femmes et les luttes des mouvements féministes, le patriarcat n’a pas disparu pour autant même si au cours de son histoire il a évolué de manière positive pour les femmes. L’ancienne tradition patriarcale semble traverser les siècles en résistant à son abolition définitive.

Bibliographie

Sources

Locke, John. Le second traité du gouvernement. Essai sur la véritable origine, l’étendue et la fin du gouvernement civil, trad., introd. et notes par Jean-Fabien Spitz, Paris, PUB 1994.

Pufendorf, S. Les devoirs de l’homme et du citoyen tels qu’il lui sont prescrits par la loi naturelle, trad. Jean Barbeyrac, 2 t. en 6eéd., Londres, Jean Nourse, 1770, réimpression Université de Caen, 1984 (DHC).

Pufendorf, S. Le droit de la nature et des gens, ou système général des principes les plus importants de la morale, de la jurisprudence et de la politique, trad. Jean Barbeyrac, 2 t. en 1 vol., Amsterdam, G. Kuper, 1707.

Rousseau, Jean-Jacques. Discours sur l’économie politique in Collection complète des œuvres, Genève, 1780-1789, vol. 1, in-4°, édition en ligne www.rousseauonline.ch, version du 7 octobre 2012.

Rousseau Jean-Jacques, Discours sur l’origine et les fondemens de l’inégalité parmi les hommes in Collection complète des œuvres, Genève, 1780-1789, vol. 1, in-4°, édition en ligne www.rousseauonline.ch, version du 7 octobre 2012.

Rousseau, Jean-Jacques. Du contrat social, ou principe du droit politique in Collection complète des œuvres, Genève, 1780-1789, vol. 1, in-4°, édition en ligne www.rousseauonline.ch, version du 7 octobre 2012.

Rousseau, Jean-Jacques. Volume 5. Emile, ou de l’éducation, tome II in Collection complète des œuvres, Genève, 1780-1789, vol. 5, in-4°, édition en ligne www.rousseauonline.ch, version du 7 octobre 2012.

Rousseau, Jean-Jacques. Lettre à M. D’Alembert in Collection complète des œuvres, Genève, 1780-1789, vol. 6, in-4°, édition en ligne www.rousseauonline.ch, version du 7 octobre 2012.

Littérature secondaire

Henrion, Roger. « Des origines du mot Familia » in L’antiquité classique, Tome 11, fasc. 2, 1942. pp. 253-287.

Pateman, Carole, Le contrat sexuel, (1982), trad. C. Nordmann, Paris, La Découverte, 2010.

Radica, Gabrielle. Philosophie De La Famille : Communauté, Normes Et Pouvoirs, Paris, Vrin, 2013.

Zurbuchen, Simone, « La famille, une société naturelle ? » in Goyard-Fabre, Simone. Rousseau Et La Nature. Rousseau Studies : Revue annuelle 6. Genève, Slatkine, 2018.


1C’est dans son ouvrage intitulé Le contrat sexuel qu’elle critique l’idéologie du contrat : Pateman, Carole, Le contrat sexuel, (1982), trad. C. Nordmann, Paris, La Découverte, 2010.

2Henrion, Roger. « Des origines du mot Familia » in L’antiquité classique, Tome 11, fasc. 2, 1942. p. 253.

3Ibid., p. 253.

4Ibid., p. 254.

5Ibid., p. 255.

6Ibid., p. 258.

7Les participants peuvent être la femme, les descendants, les clients, les animaux du pater familias. Ibid., p. 282.

8Ibid., pp. 261-262.

9Ibid., p. 262.

10Ibid., p. 263. On retrouve d’ailleurs une similitude chez les Indo-Germains où la femme et les enfants se trouvaient dans la munt du chef de famille (munt signifiant l’autorité).

11Ibid., p. 261.

12On remarque ici que la mère est absente du discours de Rousseau « Encore les enfans ne restent-ils liés au pere quʼaussi longtems quʼils ont besoin de lui pour se conserver » (191-192). J’y reviendrai.

13Simone Zurbuchen est professeure de philosophie politique à l’Université de Lausanne.

14Zurbuchen, Simone, « La famille, une société naturelle ? » in Goyard-Fabre, Simone. Rousseau Et La Nature. Rousseau Studies : Revue annuelle 6. Genève, Slatkine, 2018, p. 132.

15Zurbuchen, Simone, op. cit, p. 132.

16Si l’enfant est considéré comme la propriété de son père, je me demande si cela n’est pas une conséquence du contrat de type « lockien » où seuls les hommes bénéficient de ce droit de propriété ? Dans ce cas, la mère ne pourrait être propriétaire de ses enfants. Ou alors est-ce simplement un fait considéré comme naturel ? Je reviendrai sur cette notion de contrat type « lockien » en abordant Le contrat sexuel de C. Pateman (C.f 3.2).

17Locke, John, « Deuxième traité du gouvernement. Essai sur l’origine, les limites et les fins véritables du gouvernement civil » dans « Deux traités du gouvernement », trad. B. Gilson in G. Radica, Philosophie de la famille, Communauté, normes et pouvoirs, Paris, Vrin, 2013, pp. 153-171.

18Ibid., p. 154.

19Ibid., p. 154. Je souligne.

20Cela rejoint la conception rousseauiste où le pouvoir paternel fondé tout d’abord dans la nature passe à un pouvoir fondé sur une convention une fois que l’enfant devient adulte (Rousseau, Du contrat social, 191-192). Comme Locke, Rousseau soutient « que le pouvoir du père de famille suppose le consentement explicite ou tacite des enfants si ceux-ci, une fois devenus adultes, continuent à vivre avec lui » : Zurbuchen, Simone, op. cit, p. 134.

21Locke, John, op. cit, p. 155.

22Ibid., p. 158.

23Zurbuchen, Simone, op. cit, p. 134.

24Ibid., p. 134.

25Ibid., p. 135.

26Ibid., p. 135.

27Ibid., p. 136.

28Ibid., p. 152.

29Ibid., p. 135.

30Ibid., p. 135.

31Dans ce passage, Rousseau nous indique que la nature « arma » la femme (le faible) de la modestie et de la honte pour asservir le fort (l’homme).

32C’est dans Emile, ou de l’éducation que Rousseau précise ce point : « il lui faut [pour la mère] du ménagement durant sa grossesse ; il lui faut du reposdans ses couches ; il lui faut une vie molle & sédentaire pour allaiter ses enfants ; il lui faut, pourles élever, de la patience & de la douceur, un zèle, une affection que rien ne rebute » (203-204).

33Cela ne veut pas dire que le mari ait toutes les libertés : il doit être fidèle car tout mari infidèle « est un homme injuste & barbare » (Rousseau, Emile, ou de l’éducation, 203-204).

34Zurbuchen, Simone, op. cit, p. 136.

35Ibid., p. 152.

36Pufendorf, S. Le droit de la nature et des gens, ou système général des principes les plus importants de la morale, de la jurisprudence et de la politique, trad. Jean Barbeyrac, 2 t. en 1 vol., Amsterdam, G. Kuper, 1707, p. 132.

37Zurbuchen, Simone, op. cit, p. 139.

38Ibid., pp. 138-139. S. Zurbuchen cite Pufendorf dans : Pufendorf, S. Les devoirs de l’homme et du citoyen tels qu’il lui sont prescrits par la loi naturelle, trad. Jean Barbeyrac, 2 t. en 6eéd., Londres, Jean Nourse, 1770, réimpression Université de Caen, 1984 (DHC), pp. 20-22.

39Ibid., p. 140.

40Locke, John, op. cit, p. 168.

41Ibid., p. 167.

42Ici, je suppose qu’à l’état de nature, il y a égalité entre les deux sexes.

43Nous pourrions objecter cet argument en montrant qu’il existe des formes de patriarcat dans de nombreuses sociétés à travers le monde qui ne se sont peut-être jamais côtoyées. Toutefois, il existe également des sociétés fondées sur le matriarcat. Il est donc difficile de prétendre que le patriarcat est un phénomène universel (puisqu’il existe des particularités). En ce sens, il semble que le patriarcat soit plus en phénomène culturel que naturel.

44Radica, Gabrielle. Philosophie De La Famille : Communauté, Normes Et Pouvoirs, Paris, Vrin, 2013, p. 150. G. Radica site C. Pateman.

45Ibid., p. 148.

46Pateman, Carole, op. cit, quatrième de couverture.

47Radica, Gabrielle, op. cit, p. 149.

48Ibid., p. 149.

49Ibid., pp. 148-149.

50La femme ne semble donc pas douée d’une raison suffisamment assez « forte » pour qu’elle puisse se contenir. Je ne pense pas que Rousseau prétend que la femme soit reléguée à l’état d’animalité dépourvue de raison comme cela pouvait être le cas dans un discours philosophique misogyne. La femme semble raisonner mais probablement pas de la même manière que l’homme et cela repose vraisemblablement sur une différence de nature. Rousseau soutient que « la nature » veut que les femmes « pensent, qu’elles jugent, qu’elles aiment, qu’elle connoissent, qu’elles cultivent leur esprit » (Rousseau, Emile, ou de l’éducation, Livre V, 209-210). Toutefois, il affirme dans les lignes qui suivent que si l’homme raisonne, la femme observe. Est-ce que Rousseau se contredit ? Cela mériterait d’être éclaircit.

51Cette exigence semble plus reposer sur un désir d’assujettissement de l’homme sur la femme que sur une différence de nature.

52Notons qu’une telle complémentarité ne permet pas d’envisager le mariage homosexuel !

53Rousseau ajoute la dissipation, la frivolité et l’inconstance comme défauts principaux chez la femme.

54Radica, Gabrielle, op. cit, p. 150.

55Ibid., p. 151.

56Pateman, Carole, « Le contrat sexuel à l’origine de tout contrat », trad. C. Nordmann in G. Radica, Philosophie de la famille, Communauté, normes et pouvoirs, Paris, Vrin, 2013, p. 193.

57Ibid., p. 193.

58Ibid., p. 194. L’adultère est un exemple de désordre parmi d’autres.

59Ibid., p. 195.

60Ibid., p. 196.

61C. Pateman écrit que « toutes sortes de gens, s’écrie Rousseau « périssent par le désordre des femmes » (p. 196). En supprimant la première partie de la phrase, cela permet d’appuyer un propos que l’auteure veut faire passer. Or, Rousseau utilise cette expression dans un contexte différent. Il s’exprime sur l’abus de l’alcool et sur le fait qu’il voudrait mieux être sobre pour être un bon citoyen. Rousseau semble avoir utiliser cette phrase comme s’il s’agissait d’une expression populaire qui affirme que le vin est moins dangereux que le désordre des femmes. Mais il ne parle pas ici spécifiquement du désordre des femmes même s’il l’affirme dans d’autres passages de son œuvre.

62Rousseau nous prévenait de ne pas vouloir échanger les rôles entre les deux sexes : « toutes les facultés communes aux deux sexes ne leur sont pas également partagées […] la femme vaut mieux comme femme & moins comme homme » (Rousseau, Emile, ou de l’éducation, Livre V, 209).

63Ibid., p. 195.

64Ibid., p. 196.

65Si la société civile est en danger par les femmes, la loi permet d’y faire face : « la législation embrasse à la fois toutes les parties ; ou elle est enfin si rigoureuse & si bien exécutée contre les désordres des femmes publiques, & même contre les désordres secrets ». Rousseau, Émile et Sophie, ou Les solitaires. Lettre première (71-72).

66Pateman, Carole,op. cit, p. 196.

67Ibid., pp. 200-201.

68Ibid., p. 201.

69Ibid., p. 191.

70Ibid., p. 200.

71Ibid., p. 202.

72Ibid., p. 199.

73Ibid., p. 199.

74Ibid., p. 199.

75Même si c’est le cas, Rousseau ne dénigre pas pour autant toutes les femmes (il s’agit surtout des femmes qui sont infidèles). Au contraire, il voit chez elles une sensibilité et une tendresse qu’il reconnaît comme étant leurs propres qualités (on peut lire certains passages dans l’Émile, ou de l’éducation qui font l’éloge des femmes). Est-ce que Rousseau est misogyne ? Je ne pense pas qu’il manifeste autant de mépris et d’hostilité pour les femmes comme pourrait l’insinuer C. Pateman. Rousseau avoue simplement que les femmes sont prédisposées à certains rôles tout comme les hommes (sauf que les femmes sont effectivement soumises).

76Le jeune Rousseau a eu une liaison avec la baronne qui deviendra par la suite sa tutrice et sa maitresse. C’est en retournant à plusieurs reprises chez elle qu’il rencontre ses amants du moment.

77On notera que John Stuart Mill (1806-1873) démontre dans son livre De l’assujettissement des femmes (1869) la nécessité d’accorder aux femmes l’égalité avec les hommes (même si ce texte a suscité des critiques de la part des féministes). Mill est ainsi considéré comme le premier homme féministe.

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