Philosophie

Dimension pédagogique et thérapeutique du dialogue philosophique. La dialectique socratique (III)

Ce dernier article de la série sur la dimension pédagogique et thérapeutique du dialogue philosophique s’intéresse exclusivement à la dialectique socratique. Il s’agit de comprendre quelles sont les méthodes mises en oeuvre par Socrate pour éduquer ses élèves. Quant à l’article précédent (Dimension pédagogique et thérapeutique du dialogue philosophique. La philosophie antique : une thérapeutique de l’âme ? (II)) qui s’interrogeait sur la philosophie comme thérapeutique de l’âme, nous verrons si la dialectique socratique peut participer également à ce rôle.

1. La dialectique socratique

Dans l’Apologie, Socrate insiste sur l’importance et la façon de rendre notre âme la meilleure possible (30b). C’est donc bien la santé de l’âme, qu’elle soit saine ou malade, qui importe le plus et qui surpasse de loin toutes les autres valeurs. Selon Socrate, « la santé de l’âme dépend entièrement de la capacité de chacun à comprendre, à expliquer et à soutenir grâce au raisonnement et à l’analyse philosophique ses propres valeurs et ses propres convictions, et cela avec fermeté et minutie. Car toutes les décisions et actions de l’individu reposent sur la compréhension qu’on a de ses propres valeurs et de ses convictions 1». C’est donc l’usage de la raison qui guide l’interlocuteur de Socrate à une bonne santé de l’âme : elle est une condition à l’exercice dialectique et inhérente à tout exercices spirituels du moment qu’elle nous guide dans toutes nos actions et nous engage à vivre une vie vertueuse. « Vivre une vie philosophique, c’est donc vivre conformément à la raison », une raison qui doit être comprise comme « une faculté de raisonnement et d’analyse en vue de la vérité » 2.

1.1. Les mécanismes de la dialectique socratique : l’art du questionnement

D’un point de vue analytique, les entretiens entre Socrate et ses interlocuteurs se déroulaient de cette manière :

« ils consistaient en des questions à propos de la vie humaine que Socrate posait pour débuter l’entretien, et en des questions supplémentaires qu’il formulait contre les réponses de l’interlocuteur. Dans ses questions, l’accent était mis sur les relations logiques d’implication, d’incohérence, et d’autres relations du même ordre ; il essayait de découvrir au cours de l’échange ce que son interlocuteur pensait réellement, à supposer que ce dernier eût des opinions sur la vérité de ce qui était recherché. Celui qui affirme savoir ce qui est vrai, pensait Socrate, doit être prêt à expliquer et à justifier ses opinions en faisant appel à des arguments qui montrent effectivement qu’elles sont vraies, et doit s’engager à accepter comme autant d’opinions supplémentaires toutes les conséquences logiques ou autres implications qu’on peut tirer des premières 3».

La raison est au cœur de la démarche dialectique. C’est par son usage que l’on a la capacité de démontrer la validité de nos arguments. Pour cela, « la dialectique procède par demandes et réponses, pour ne jamais passer d’une assertion à la suivante sans s’être assuré que cet assentiment ne puisse jamais être refusé 4». Ainsi, « le raisonnement y avance pas à pas, et chaque pas doit être éprouvé et confirmé par l’accord de l’interlocuteur. On ne passe d’une thèse à la suivante que quand l’adhésion de celui auquel on s’adresse garantit la vérité de chaque chaînon de l’argumentation 5». L’adhésion des interlocuteurs est donc essentielle car elle permet de progresser dans le raisonnement afin que « les thèses nouvelles, rattachées aux précédentes, viennent s’intégrer dans l’ensemble des opinions généralement reçues 6». L’objectif du dialogue est de trouver une réponse conforme à la raison. Il devient dialectique du moment que les interlocuteurs cherchent à s’accorder sur ce qu’ils considèrent comme vrai. L’interlocuteur de Socrate n’est donc pas forcément passif s’il participe à la progression du raisonnement en proposant, à chaque étape, des arguments qui valident ou invalident les thèses proposées 7. Si l’interlocuteur ne fait qu’accepter par automatisme les thèses proposées comme des évidences, il n’y a à proprement parler plus de dialogue.

En général, un entretien socratique commence par l’exposition d’une thèse par l’interlocuteur qui en est convaincu. L’examen de cette thèse va dépendre des connaissances de l’interlocuteur et va donc déterminer le parcours dialectique que Socrate va entreprendre. S’il est un sage 8, la thèse est connue d’avance. Or, s’il s’agit d’autres interlocuteurs 9, et « qu’ils sont au moins prêt à asserter une réponse en présumant qu’ils sont capables de la valider et de la justifier rationnellement », cela sous-entend « qu’ils y ont réfléchi (peut-être pour la première fois), en sont convaincus, et sont donc prêts à en examiner et à en accepter les conséquences ». Dans ce cas, « Socrate commence par leur demander leur opinion […] puis explore avec eux les difficultés philosophiques au fur et à mesure qu’elles se présentent » 10. Pour mener à bien ce parcours dialectique, Socrate fait appel à un mode d’interrogation fondé sur une technique de réfutations successives (elenchos) provoquant chez son interlocuteur la prise de conscience de son ignorance. Ainsi, celui qui croit savoir se rend compte qu’il ne sait finalement rien 11. C’est le cas dans l’Apologie où Socrate va à la rencontre « d’un de ceux qui passent pour être savant » et remarque qu’il s’imagine savoir quelque chose alors qu’il ne sait rien. Il ajoute « j’ai l’impression d’être plus savant que lui […] : je ne m’imagine même pas savoir ce que je ne sais pas » (21c-21e). Ainsi, les soi-disant savants « ne savent rien des choses qu’ils parlent » (22c) : plus les hommes sont réputés en savoir, plus l’ignorance est grande et plus le bon sens s’évanouit 12. L’objectif de cette démarche dialectique n’est probablement pas d’humilier l’interlocuteur. La manière de questionner de Socrate aide plutôt ses interlocuteurs à se mettre eux-mêmes à l’épreuve et à affirmer leurs idées, voire à affirmer ce qu’ils croient (toutes les opinions doivent être examinées) 13. Comme nous l’avons déjà indiqué, c’est la recherche dialectique qui compte. Pour cela, Socrate va questionner ses interlocuteurs mais il va surtout se présenter à eux comme celui qui ne sait rien. Ici, c’est la figure ironique de Socrate qui entre en jeu et qui va contribuer à la recherche commune de la vérité.

1.2. L’ironie de Socrate, l’elenchos et la maïeutique

En lisant les dialogues platoniciens, on remarque que Socrate a toujours le rôle de celui qui pose des questions. « Il n’expose, n’argumente ni n’explique jamais directement ses propres conceptions philosophiques. Il ne permet jamais qu’on l’interroge sur ses propres opinions ou sur les raisons philosophiques qui les soutiennent 14». Cette position du non répondant repose sur le fait qu’il ne se considère pas être un sage. Au contraire, étant dépourvu de conceptions philosophiques propres, il se définit lui-même comme une sage-femme pour l’âme aidant les jeunes hommes à enfanter leurs idées. De ce fait, il ne peut produire des explications et des arguments en faveur de ses propres conceptions sur lesquelles il aurait pu être interrogé 15. Cela nous ramène à une particularité de la maïeutique socratique, celle de la métaphore de l’accoucheur des âmes dans le Théétète où Socrate dit exercer « le même métier » que les accoucheuses (149a), à la différence qu’il accouche « des hommes » et qu’il veille « sur leurs âmes en train d’enfanter », et cela dans le but de reconnaître « si la pensée du jeune homme donne naissance à de l’imaginaire, c’est-à-dire du faux, ou au fruit d’une conception, c’est-à-dire du vrai » (150b-150c). Toutefois, Socrate affirme qu’il est lui-même « impropre à la conception d’un savoir », et que s’il ne fait que de poser des questions sans jamais donner de réponse 16, c’est « parce qu’il y a en moi rien de savant » : « le fait est donc que je ne suis moi-même absolument pas quelqu’un de savant » (150c-150d). Socrate passe donc pour celui qui ne sait rien et cela représente bien son caractère ironique qui se dégage de ce personnage ambivalent. Or, cette déclaration d’ignorance tient un rôle important dans la démarche dialectique 17.

« L’ironie est une attitude psychologique selon laquelle l’individu cherche à paraître inférieur à ce qu’il est : il se déprécie lui-même. Dans l’usage et l’art du discours, cette disposition se manifeste par une tendance à feindre de donner raison à l’interlocuteur, à feindre d’adopter le point de vue de l’adversaire 18»

Socrate feint 19 en se faisant passer pour quelqu’un de tout à fait ordinaire. S’il refuse d’enseigner, c’est parce qu’il n’a rien à dire. Et s’il n’a rien à dire, c’est parce qu’il ne sait rien. Et s’il ne sait rien, c’est parce qu’il ne se considère pas comme un maître 20. Ainsi, il ne lui reste que la possibilité de poser des questions tout en refusant lui-même de répondre aux questions. Par conséquent, l’accoucheur Socrate n’engendre rien puisqu’il ne sait rien : il aide seulement les autres à s’engendrer eux-mêmes (il utilise des questions pour faire enfanter les âmes). Socrate se défend donc d’enseigner mais se présente comme celui qui désire s’instruire de ses interlocuteurs.

« En simulant l’ignorance, [Socrate] s’arroge la position de questionneur et incite son interlocuteur, qui a l’imprudence de s’attribuer un savoir, à répondre de la position qu’il se croit en mesure de justifier. L’ironie de Socrate consiste en une double feinte : non seulement il simule l’ignorance, mais il feint également de reconnaître le savoir que son interlocuteur à la prétention de posséder 21».

Aristote le confirme : « Socrate prenait toujours le rôle de l’interrogateur, jamais du répondant, car il avouait ne rien savoir » (Organon VI, les réfutations sophistiques, 184a). Or, cet art du questionnement, cette maïeutique qui consiste à faire accoucher les esprits, est un cheminement qui demande un savoir. Si Socrate sait exactement comment il va enchaîner ses questions, c’est qu’il sait très bien où il veut en venir. Toute l’ironie se joue à ce moment-là : « il y a d’un côté le Socrate qui sait à l’avance comment va finir la discussion mais il y a, de l’autre, le Socrate qui va faire le chemin, tout le chemin dialectique avec son interlocuteur 22». Pour cela, Socrate va partir de la position de départ de son interlocuteur et va le guider pour lui faire finalement reconnaître que sa position initiale était contradictoire. Pour mener à bien ce parcours dialectique, Socrate va faire appel à sa pratique de la réfutation (elenchos) qui consiste à révéler les opinions contradictoires de son interlocuteur sur le sujet abordé ou à rendre compte que sa façon de vivre est en désaccord avec ses opinions. L’examen réfutatif distingue deux modes d’acquisition d’une connaissance quelconque : l’instruction (apprendre quelque chose de quelqu’un) et la découverte (rechercher et apprendre quelque chose par soi-même). Ainsi, pour acquérir des connaissances, cela implique qu’il n’y ait d’une part aucunes connaissances innées et d’autre part que l’on ne puisse chercher à savoir ce que l’on croit savoir : une connaissance ne peut être acquise que si l’on est conscient de notre ignorance 23. Alcibiade se rend bien compte de son ignorance lorsque Socrate lui révèle la liste inquiétante des connaissances qu’il ne possède pas (c’est notamment le cas des compétences techniques nécessaires à la bonne administration d’une cité (Alcibiade, 107a)). C’est donc sur « ce ressort psychologique que Socrate entend jouer en recherchant avec Alcibiade les connaissances qui font éventuellement défaut, soit qu’il reconnaisse ne pas les posséder, soit qu’il le croit à tort 24». Toutefois, ce mode d’interrogation qui combine réfutations et enchaînements de questions place quelque fois l’interlocuteur de Socrate dans l’embarras et provoque une sorte de confusion générale qui le pousse à ne plus savoir de quoi il parle. C’est notamment le cas d’Alcibiade qui, confus par les multiples interrogations de Socrate qui s’enchaînent les unes derrière les autres, affirme : « je ne sais plus ce que tu dis […] car quand tu m’interroges, tantôt je crois dire une chose, tantôt une autre » (Alcibiade, 116e-117a) 25. On retrouve cette situation embarrassante dans le Ménon :

« Et voilà maintenant, du moins c’est l’impression que tu me donnes, tu m’ensorcelles, tu me drogues, je suis, c’est bien simple, la proie de tes enchantements, et me voilà plein d’embarras ! […] j’ai à présent l’impression que tu m’as bel et bien mis dans un tel état [de torpeur]. Car c’est vrai, je suis tout engourdi, dans mon âme comme dans ma bouche, et je ne sais que te répondre. […] Je suis absolument incapable de dire ce qu’est la vertu » (Ménon, 80a-b, trad. M. Canto-Sperber)

Si Ménon refuse de reconnaître son ignorance, c’est qu’il décline l’invitation à se mettre en recherche d’une vérité (il ne fait que répéter ce que Gorgias lui a appris). Ainsi, il se retrouve dans l’embarras et accuse Socrate de le mettre dans un état de « torpeur ». Par conséquent, l’interlocuteur de Socrate qui prend conscience de son ignorance est bouleversé : « tout son système de valeurs lui paraît brusquement sans fondement 26». L’effet est thérapeutique dans les sens où celui qui est persuadé de posséder une vérité qu’il n’a finalement pas se voit blessé dans son égo : le psychisme de l’interlocuteur est touché profondément ce qui peut aboutir à une transformation de soi (le choc « émotionnel » engendre un long processus de réflexion). Et l’effet est renforcé du moment que Socrate se présente comme quelqu’un qui ne sait rien : « quant à l’amour-propre de l’adversaire terrassé par Socrate, il souffrira moins d’être vaincu par un savoir supérieur que d’être obligé de céder le pas à un homme qui se présente lui-même comme un benêt et un ignorant 27».Toutefois, si à la fin de la discussion, l’interlocuteur ne semble rien avoir appris, il aura acquis la plus noble connaissance qui est celle d’avoir pris conscience de sa propre ignorance. Ce mode d’interrogation (elenchos) qui place la discussion sous le signe de la confrontation, procédant par réfutation successive d’arguments contraires, révèle donc l’ignorance de l’interlocuteur. Il est même une forme d’éducation puisque dans le Sophiste, l’Étranger répondant aux questions de Théétète affirme que

« l’âme ne pourra pas profiter des connaissances reçues jusqu’à ce qu’on l’ait soumis à la réfutation, et que grâce à cette réfutation, on lui fasse honte d’elle-même et la débarrasse ainsi des opinions qui empêchaient la connaissance. Elle sera purifiée et ne croira à l’avenir savoir que ce qu’elle sait, et non davantage […] C’est pour cela, Théétète, qu’il faut proclamer que la réfutation est la plus importante et la plus juste des purifications » (Sophiste, 230c-231a, trad. L. Brisson)

Ainsi, celui qui ne fait pas l’expérience de la réfutation ne peut aspirer au véritable bonheur. Ici, la réfutation est clairement un outil pédagogique puisqu’elle permet une purification 28 des âmes. Or, la pratique de la réfutation peut également laisser le maître et son élève dans l’aporie (c’est le cas notamment dans le Lysis (222e)). En ce sens, l’elenchos diffère de la maïeutique puisque cette dernière n’a pas pour finalité de révéler l’ignorance de l’interlocuteur mais « de le faire accoucher des connaissances que son âme abrite à son insu (Théétète, 150b-d) » 29. Cet accouchement de l’âme amène les interlocuteurs de Socrate à trouver une réponse qu’ils avaient en eux mais dont ils ne parvenaient pas à l’exprimer eux-mêmes : « Théétète a besoin de Socrate pour faire sortir de lui cette réponse [de découvrir ce qui est né]. Il est donc semblable à une femme enceinte qui doit être délivrée par une sage-femme 30». Ainsi, un virage s’opère entre les deux modes d’interrogation puisque la maïeutique permet d’accoucher un savoir que l’interlocuteur croyait ignorer si bien que ce dernier n’est plus considéré comme ignorant dans le sens profond du terme (sans aucunes connaissances). En effet, la maïeutique est intimement liée à la théorie de la réminiscence présente dans le Ménon (81a-82d) où l’âme se remémore les vérités antérieurement acquises (une connaissance prénatale) 31. « Toute recherche, toute acquisition de connaissances ne sont en fait que remémoration 32». Et Socrate le prouve lorsqu’il interroge « le jeune garçon » (un esclave) et que ce dernier résout par lui-même un problème de géométrie (Ménon, 82b-86c). Une fois de plus, Socrate affirme qu’il « n’enseigne rien à ce garçon, tout ce que je fais, c’est poser des questions » (82e). L’argument de la réminiscence est donc un encouragement à la recherche de la connaissance : nous ne sommes pas ignorants, mais gorgés d’oubli.

Bref, cette ruse pédagogique qui consiste à simuler l’ignorance permet à Socrate de prendre son interlocuteur « dans les filets de sa propre ignorance ». L’ironie socratique peut ainsi apparaître comme une méthode agressive : « par ses incessantes questions, Socrate tourmente ses adversaires et ses rivaux, s’empare de leur discours et le réfute et ainsi menace ou ruine leur autorité 33». D’autre part, elle fonctionne comme « un artifice qui renvoie les interlocuteurs (et les lecteurs) à eux-mêmes et à la nécessité d’entreprendre, pour eux-mêmes, cette quête du savoir en quoi consiste la philosophie » 34. L’ignorance de Socrate n’est donc pas feinte : elle est plutôt la condition même de son art. Elle fait partie intégrante de la dialectique socratique et élargi son rôle éducatif au même titre que les deux modes d’interrogation que nous avons abordés précédemment (elenchos et maïeutique). Quoi qu’il en soit, et de manière générale, la dimension pédagogique de la dialectique est plurielle : d’une part, l’interlocuteur qui dialogue pratique et acquiert les fondements de l’art du questionnement. Il expérimente ainsi « ce qu’est l’activité de l’esprit, mieux encore, il a été Socrate lui-même 35» ; d’autre part, il se retrouve confronté à lui-même, à ses propres contradictions, à sa propre ignorance. Il y a donc un progrès puisque l’interlocuteur « aura conscience de sa propre ignorance, cette précieuse conscience qui seule mérite le nom de sagesse 36». A cela, n’oublions pas la dimension éthique de la dialectique où « la mise en question du discours mène à une mise en question de l’individu qui doit décider, si oui ou non, il prendra la résolution de vivre selon la conscience et la raison 37». On retrouve une telle affirmation dans le Lachès : « il [Socrate] nous entraîne dans un circuit de discours sans fin, jusqu’à ce qu’on en vienne à devoir rendre raison de soi-même, aussi bien quant à la manière dont on vit présentement qu’à celle dont on a vécu son existence passée » (187c). Ainsi s’opère, par l’usage de la raison, un renversement de nos valeurs redéfinissant nos conduites de vie, une opération qui mène à une bonne santé de l’âme. La dialectique socratique accompagne l’interlocuteur dans une démarche de conversion à une vie philosophique par une pratique de l’examen de soi-même. Tel est le sens profond de la dialectique socratique dans toutes ses dimensions. Toutefois, si la maïeutique contribue à la dialectique socratique, nous pouvons nous questionner sur le caractère « directif » de la maïeutique que l’on observe quelquefois dans les échanges et dans la manière qu’à Socrate d’enchaîner les questions ? Car si l’interlocuteur n’est qu’une marionnette, quelle est la valeur pédagogique de ce mode d’interrogation ?

1.3. Critique de la maïeutique

A la lecture d’un dialogue platonicien, il arrive que l’interlocuteur de Socrate se laisse totalement guidé par l’enchaînement des questions en ne donnant que des réponses très brèves comme « bien sûr que non », « nécessairement », « oui », « sans doute ». L’interlocuteur qui n’a que le rôle du répondant semble plutôt passif dans l’échange. C’est le cas notamment lorsque Socrate interroge l’esclave du Ménon (82b-86c) : « c’est un questionnement à sens unique mené par Socrate. Les questions, courtes et formulées avec précision, se succèdent et s’enchaînent sans discontinuer ; les réponses sont extrêmement brèves et tout aussi ponctuelles 38». Socrate mène la discussion durant tout l’échange et l’esclave ne dispose d’aucune initiative, ne fait que répondre brièvement sans jamais réfuter le dialecticien. On ne peut que constater que la passivité du répondant est le résultat d’un échange très bien dirigé et donc parfaitement maîtriser par le questionneur. P. Parlebas qui analyse ce passage du Ménon très minutieusement remarque que si les questions sont imposées par Socrate, les réponses le sont également : « sous l’apparence du dialogue, cette démonstration [entre Socrate et l’esclave] cache un quasi-monologue ponctué de réponses « forcées » 39». Pour cela, Socrate propose des questions qui provoquent délibérément des réponses inexactes pour démontrer par la suite le caractère erroné de ces affirmations. Les erreurs sont donc souhaitées par Socrate pour que son interlocuteur se mette à douter de son savoir. Cette ruse permet à Socrate « d’affirmer la puissance de son savoir et de maintenir l’élève en situation de dépendance » 40. L’auteur dégage les grands traits de la stratégie maïeutique :

« Le maître dirige totalement l’entretien […] La moitié des questions est hors-sujet [afin] de provoquer délibérément l’erreur de l’élève […] Le doute, né des affirmations erronées de l’esclave, a été créé artificiellement par le maître […] L’élève ne créer rien, n’invente rien, ne produit rien : il se contente d’acquiescer passivement, sans enfanter d’aucune production […] Socrate tend sciemment des traquenards à l’élève naïf qui devra ensuite reconnaître son erreur, puis avec autant d’adresse lui souffler les bonnes réponses 41»

Ainsi, Socrate suggère de manière dirigée ses connaissances à son interlocuteur par le biais de réponses fortement induites par ses questions. De ce fait, on ne peut guère affirmer qu’il y ait accouchement d’un savoir. Il n’y a pas naissance des idées, ni ressouvenir de la part de l’interlocuteur de Socrate. P. Parlebas arrive à la conclusion suivante : l’entretien maïeutique est « hyper-directif » et le questionnement socratique se traduit par « un guidage autoritaire imposant son itinéraire sur une voie pré-tracées » 42. Bref, même si ce point de vue repose sur un passage précis du Ménon 43, cette analyse nous questionne sur les mécanismes pédagogiques de la maïeutique. En effet, une telle méthode d’interrogation où l’élève se retrouve dans le rôle du répondant, un élève qui ne pose donc aucune question, qui ne possède aucune initiative et qui se laisse entraîner par son maître, pourrait être perçue comme un processus pédagogique rigide. « Le sujet risque de focaliser son attention sur des énoncés, sur des formules ou des résultats et par là même de négliger l’apport essentiel des mécanismes et des opérations de raisonnement 44». L’esclave du Ménon n’a retenu que la formule. Il ne serait donc pas capable de refaire le cheminement du raisonnement de Socrate. Or, selon l’auteur, l’aspect essentiel de la pédagogie est de se souvenir de ce cheminement plutôt que de mémoriser une définition, une formule. « Apprendre ne se réduit pas à recevoir et à fixer un message […] mais a assimilé les opérations […] qui permettent de le reconstituer ». « Si savoir, ce n’est pas se ressouvenir mais se construire » 45 alors Socrate ne laisse pas la possibilité à l’esclave d’acquérir cette connaissance qui consiste à construire par soi-même les opérations qui mènent à la découverte. Ainsi, la maïeutique ne laisserait pas la place à « la participation opératoire de l’enfant 46» parce que cette méthode d’interrogation paralyserait toute initiative et toute création. Pourtant, Socrate voit les choses autrement : il dit bien que l’esclave avait cette formule mathématique en lui, cette « opinion vraie » en lui :

« Chez l’homme qui ne sait pas, il y a donc des opinions vraies au sujet des choses qu’il ignore » [Ce n’est qu’en interrogeant l’esclave] « à plusieurs reprises sur les mêmes sujets, et de plusieurs façons […] qu’il finira par avoir sur ces sujets-là une connaissance aussi exacte que personne ». (Ménon, 85b-85e, trad. M. Canto-Sperber).

Certes, ces propos confirment la théorie de la réminiscence où l’esclave avait en lui-même une opinion vraie qu’il possédait depuis toujours. Cependant, ce qu’il faut retenir, c’est que si l’esclave émet une opinion vraie, seule une interrogation répétée par la dialectique se transformera en connaissance (trouver une formule mathématique, ce n’est pas connaître les principes). La recherche est donc essentielle dans un processus d’acquisition des connaissances (elles ne sont pas acquises immédiatement). D’autre part, et comme nous l’avons mentionné plus haut, Hadot affirmait qu’une des caractéristiques de la dialectique socratique – même s’il ne s’agit pas exclusivement de la maïeutique – permettait à l’interlocuteur de Socrate de faire l’expérience du cheminement de la pensée de son maître : « la définition n’est rien par elle-même ; tout est dans le chemin parcouru pour l’atteindre 47» (C.f. 1.3). Or, le point de vue de P. Parlebas s’oppose à cette caractéristique pédagogique de la maïeutique puisque l’esclave n’a retenu que la formule finale sans acquérir le cheminement du raisonnement. Toutefois, si l’on se réfère à l’Alcibiade où Alcibiade reçoit une leçon magistrale de la part de Socrate, c’est dans Le Banquet qu’il avoue :

« qu’en dépit de tout ce qui me manque, je continue à n’avoir pas souci de moi-même alors que je m’occupe des affaires d’Athènes. Je me fais donc violence […] j’ai honte. Car il m’est impossible, j’en ai conscience, de ne pas être d’accord avec lui [Socrate] et de dire que je ne dois pas faire ce qu’il me recommande de faire » (Le Banquet, 216a-216c, trad. L. Brisson)

Alcibiade a honte de ne pas avoir suivi les conseils de Socrate. Durant sa carrière politique et militaire qui s’est constituée d’échecs successifs 48, il semble prendre conscience qu’il s’est trompé de ne pas avoir privilégié de se soucier de lui-même avant de se soucier de ce qui lui était propre. Alcibiade n’a donc pas appliqué les conseils de son maître dans sa manière de vivre, à se soucier plus de l’être que de l’avoir : il en tire aujourd’hui des conséquences plutôt négatives. Toutefois, si l’on se réfère à l’échange entre Socrate et Alcibiade (dans l’Alcibiade), on constate que l’élève répond toujours de manière très brève à son maître, souvent en acquiesçant ses affirmations (il lui arrive de poser quelques questions mais celles-ci restent également très brèves). L’entretien est donc très bien dirigé par Socrate. La situation pourrait donc être similaire à celle où Socrate interroge l’esclave dans le Ménon. Or, c’est dans Le Banquet qu’Alcibiade démontre l’efficacité de l’entretien qu’il a eu avec son maître, de « l’effet » que cela a produit sur son âme, du fait qu’il n’a pas suivi les recommandations de Socrate, et ce sentiment de culpabilité qu’il a envers lui et qui semble l’avoir accompagné durant toute une période de sa vie (entre les deux dialogues – l’Alcibiade et Le Banquet –, vingt ans se sont écoulé). Même si dans l’Alcibiade, Alcibiade est plutôt passif, on ne peut guère affirmer qu’il n’ait rien appris. Au contraire, il semble bien avoir compris la leçon du souci de soi même s’il s’est trouvé dans l’incapacité de la mettre en pratique. Cette prise de conscience de cette incapacité de mettre en œuvre les recommandations de son maître dans sa manière de vivre le poursuit si bien que cette leçon reste omniprésente à l’esprit d’Alcibiade, et cela de manière soutenue puisqu’il affirme « se faire violence ». En somme, Alcibiade reconnait que Socrate a raison, et qu’en ne suivant pas ses conseils, ses passions l’empêchent de vivre une vie tournée vers la raison. Dès lors, même si le dialogue est dirigé par Socrate, même si Alcibiade n’a que le rôle du répondant, qu’il n’a pas pu construire par lui-même les opérations qui mènent à la découverte, il a tout de même acquis une connaissance fondamentale qui vise à l’amélioration de soi, une connaissance éthique, qui même si celle-ci n’a pu être réalisée dans l’expérience quotidienne, s’est inscrite dans sa conscience comme une direction à suivre s’il souhaite parvenir à une vie vertueuse. Comme le dit Hadot des dialogues platoniciens, « ces détours et ces répétitions sont destinés tout d’abord à apprendre à raisonner, mais aussi à faire que l’objet de la recherche finisse par devenir, comme le disait Aristote, parfaitement familier et connaturel, c’est-à-dire finalement à intérioriser parfaitement le savoir […] Les questions ou les réponses sont destinées à provoquer chez l’individu un doute, même une émotion, une morsure, comme dit Platon 49». Ainsi, l’âme d’Alcibiade est touchée et marquée par le discours de Socrate et cela semble avoir un impact non négligeable sur sa personne. Et pour celui qui prétendrait qu’Alcibiade n’aurait rien appris – ce qui ne semble pas le cas –, il a au moins pris conscience de son ignorance sur sa manière de se conduire et sur le fait de privilégier les affaires d’Athènes plutôt que de se soucier de soi. En somme, Alcibiade a très bien compris les propos de Socrate : il sait qu’il doit privilégier le souci de soi et donc remettre en question ses points de vue et ses priorités qui l’empêchent de réaliser ce processus de transformation de soi. Dès lors, si apprendre consiste à oublier ou abandonner de fausses certitudes ou de faux savoirs, l’objectif de la leçon transmise par le maître semble quasiment atteinte. En effet, l’entretien a permis d’engendrer le processus de transformation et donc d’entamer un processus de conversion qui se réalisera lorsque Alcibiade serait prêt à franchir définitivement cette étape. Par conséquent, la méthode socratique semble avoir produit l’effet escompté même si la démarche peut être perçue comme hyper-directive et rigide.

Conclusion

En parcourant les quelques dialogues platoniciens que nous avons choisis pour ce travail de recherche, nous constatons de manière générale que l’élève de Socrate acquiert des connaissances sur plusieurs plans (intellectuel et éthique). A partir d’une confrontation entre plusieurs positions, le dialogue philosophique amène l’interlocuteur à dépasser l’opinion (doxa) en vue de parvenir à un véritable savoir. Toutefois, même s’il n’obtient pas une réponse définitive à son questionnement initial, son savoir progresse puisque, comme nous l’avons mentionné à plusieurs reprises, c’est le chemin parcouru dans l’échange entre le maître et son élève qui compte le plus (aboutir à une définition reste secondaire 50). La dimension pédagogique du dialogue philosophique se réalise donc principalement dans ce cheminement, celui qui consiste à faire l’usage de la raison dans la recherche d’une définition, par une montée progressive vers la connaissance, à partir des concepts les plus généraux jusqu’aux premiers principes (à saisir l’essence de chaque chose), mais également dans l’éclaircissement de certaines notions mal comprises ou dans le but de répondre à des questionnements existentiels jusque-là sans réponses. Les méthodes que déploie Socrate dans sa dialectique s’avèrent efficaces dans le sens où elles permettent de révéler à ses interlocuteurs leurs propres contradictions et leurs propres ignorances sur des notions qui semblaient acquises et certaines. La ruse qui consiste à faire de Socrate celui qui ne prétend rien savoir, en posant des questions sans jamais donner de réponses, peut être qualifiée de méthode pédagogique dans le sens où elle permet de mener à bout ses interlocuteurs jusqu’à ce qu’ils se rendent compte qu’ils ne possèdent pas le savoir qu’ils prétendaient avoir. Se retrouver face à sa propre ignorance par une démonstration subtile opérée par un dialecticien ignorant nous renvoie à une connaissance particulièrement déroutante : nous savons que nous ne savons pas (ce qui équivaut à une forme de sagesse). La pratique de la réfutation s’avère d’ailleurs particulièrement efficace puisqu’elle purifie les opinions. Toutefois, on remarque que dans certain cas, l’échange entre le maître et son élève n’est que le début d’un long processus pédagogique (c’est le cas d’Alcibiade). En effet, le dialogue initial a la capacité de troubler l’âme et de semer le doute chez l’élève ce qui le pousse à remettre en question ses croyances, ses faux savoirs, ses valeurs et ses manières d’agir dans un dialogue avec soi-même (la connaissance n’est pas forcément acquise immédiatement : elle est le fruit d’un questionnement continu avec soi-même qui peut quelques fois prendre du temps). La dialectique socratique agit donc sur deux plans : elle est tout d’abord orale (l’élève a appris quelque chose de son maître) puis individuelle dans une réflexion avec soi-même (l’élève peut apprendre quelque chose par lui-même).

D’autre part, envisager la philosophie comme une thérapeutique de l’âme nous renvoie aux moyens qu’elle met en œuvre pour atteindre cet objectif. Le dialogue philosophique participe pleinement à cette dimension thérapeutique, celle du souci de soi, parce qu’il est un moyen par lequel l’interlocuteur a la possibilité de s’améliorer, de transformer sa façon de voir le monde et sa manière de vivre. Se préoccuper de soi, de son âme, c’est entamer une métamorphose de sa personnalité. Comme nous l’avons vu, la dialectique socratique contribue à une thérapeutique des passions mais également à une guérison des angoisses provoquées par des soucis de la vie ou des questionnements existentiels. Ce questionnement philosophique qui consiste à réfléchir de manière objective sur les influences de nos passions sur nos comportements et nos actions est une nécessité si l’on souhaite vivre une vie digne, vertueuse, honnête et responsable (une vie que le philosophe antique tente d’atteindre). La philosophie peut donc prétendre à une thérapie de l’âme du moment qu’elle touche à notre amour-propre et qu’elle menace ou ruine notre autorité voire notre réputation, deux caractéristiques qui sont le résultat des influences de nos passions qui nous poussent à privilégier notre intérêt individuel au profit de l’intérêt collectif (alors que se soucier de soi, c’est aussi se soucier des autres). La dialectique socratique semble donc être en mesure de provoquer ce processus de conversion, de retournement, d’un retour à soi : nous voilà face à nous-mêmes, à prendre acte de notre propre ignorance, de nos faux savoirs et de nos conduites immorales, révélation qui s’avère embarrassante pour celui qui prétend à une vie vertueuse. Pour y arriver, Socrate n’hésite pas à provoquer chez son interlocuteur, par l’art du questionnement, des effets émotionnellement bouleversants : les âmes qui font l’expérience de sa dialectique sont touchées profondément si bien qu’elles se retrouvent – pour celles qui ne déclinent pas l’invitation à se mettre en recherche d’une vérité – engagées dans une démarche d’amélioration de soi. Le résultat est à proprement parlé thérapeutique : l’élève se trouve transformé et amélioré ce qui équivaut à une sorte de renaissance « spirituelle » mettant en branle l’intégralité de son psychisme.

Par conséquent, la dimension pédagogique et thérapeutique de la dialectique socratique tel que nous l’avons exposée dans ce travail nous renvoie d’emblée à la dimension éthique de la philosophie antique (elles ne peuvent être séparées). L’éthique repose avant tout sur un processus éducatif qu’il est difficile d’exclure dans un contexte où la philosophie est avant tout une manière de vivre. En effet, pour Socrate, philosopher, c’est prendre soin de soi, et prendre soin de son âme, c’est se connaître soi-même. Ainsi, se soucier de soi, c’est s’engager volontairement dans une démarche éthique par l’exercice pratique de la maîtrise de soi. L’objectif est clair : se transformer soi-même pour parvenir à une vie meilleure, une vie qui repose essentiellement sur l’exercice de la vertu, une pratique principalement gouvernée par la raison. Pour cela, le dialogue philosophique vise « non pas à informer, mais à former […] à s’orienter dans la pensée et dans la vie 51». Il participe pleinement à une transformation radicale de la manière de vivre.


1 Cooper, John., op. cit., p. 302.

2 Ibid., p. 300.

3 Ibid., p. 302.

4 Perelman, Chaïm. « La Méthode Dialectique Et Le Rôle De L’interlocuteur Dans Le Dialogue. » Revue De Métaphysique Et De Morale, vol. 60, no. 1/2, 1955, p. 27.

5 Ibid., p. 26.

6 Ibid., p. 30.

7 Nous reviendrons sur cet aspect de passivité du répondant (C.f. 3.3).

8 Selon J-M. Cooper, ces sages sont Euthyphron, Critias dans le Charmide, les généraux de le Lachès, Protagoras, les rhéteurs dans le Gorgias, Ménon, Hippias dans les deux dialogues éponymes, et Ion. Cooper, John., op. cit., p. 302.

9 Selon J-M. Cooper, il s’agit des jeunes interlocuteurs de Socrate mais également Criton et Charmide dans les dialogues éponymes, Alcibiade, Lysis, Clinias dans l’Euthydème, Polémarque au livre I de la République. Ibid., p. 302.

10 Ibid., p. 314.

11 Nous reviendrons en détail sur la pratique de la réfutation elenchos (C.f. 3.2).

12 Brisson, Luc, « introduction » à sa traduction de l’Apologie de Socrate, p. 23.

13 Socrate n’attend pas de son interlocuteur qu’il dise absolument ce qu’il croit ou absolument ce qu’il pense. Pour des informations complémentaires : Cooper, John., op. cit., pp. 316-318.

14 Cooper, John., op. cit., p. 311.

15 Ibid., pp. 312-313.

16 Toutefois, dans le Ménon, Socrate répond plusieurs fois à Ménon qui insiste d’obtenir une réponse de sa part (76a-76c).

17 Socrate déclare son ignorance dans plusieurs dialogues : dans l’Apologie comme nous l’avons vu, mais également dans le Ménon, Le Banquet,La République etc. Pour une liste complète, voir : Dorion, Louis-André. « La Figure Paradoxale De Socrate Dans Les Dialogues De Platon. »., op. cit., p. 25, note 2.

18 Hadot, Pierre, & Arnold I Davidson. Exercices Spirituels Et Philosophie Antique., op. cit., p. 110.

19 J. Cooper ne considère pas que Socrate simule de ne rien savoir : « Socrate est tout à fait sérieux lorsqu’il déclare être privé de cette capacité [d’être un sage]. Il est faux de dire comme de nombreux commentateurs continuent de le faire (dont Hadot, qu’est-ce que la philosophie antique ?), que Socrate est « ironique » ou qu’il feint de ne rien savoir alors qu’il affirme à de nombreuses reprises dans l’Apologie et dans d’autres dialogues de Platon ».  Cooper, John., op. cit., p. 310, note 15.

20 Socrate prétend être ignorant parce qu’il pense que l’homme ne peut jamais atteindre la connaissance ultime, définitive et complète (la sagesse). « Personne ne peut prétendre connaître la totalité et la pertinence des expériences de chacun, ni toutes les sources possibles d’objections contre les opinions établies ». Par contre, chacun peut améliorer sa connaissance en se consacrant à la discussion philosophique. Ibid., pp. 308-310. D’autre part, Socrate est un intermédiaire, plus précisément un médiateur entre les hommes et les dieux (seuls les dieux sont détenteurs du véritable savoir). Comme dans le Lysis (218a-b) et dans Le Banquet (203e-204a), « le philosophe est celui qui aspire au savoir, qui est l’apanage de la divinité. Mais cette aspiration suppose au préalable que l’on reconnaisse son ignorance, car celui qui croit savoir ne se mettra jamais en quête de la connaissance dont il est en réalité dépourvu ». : Dorion, Louis-André. « La Figure Paradoxale De Socrate Dans Les Dialogues De Platon. » Lire Platon, Presses Universitaires De France, 2014, p. 32.

21 Dorion, Louis-André. « La Figure Paradoxale De Socrate Dans Les Dialogues De Platon. »., op. cit., p. 27.

22 Hadot, Pierre, & Arnold I Davidson. Exercices Spirituels Et Philosophie Antique., op. cit., p. 113.

23 Pradeau, Jean-François, « introduction » à sa traduction de l’Alcibiade, p. 35.

24 Ibid., p. 35.

25 Alcibiade est à nouveau confus en 127d-127e : « Je ne sais même plus moi-même ce que je dis ». Il l’est également dans Le Banquet : « Toi [Socrate], tu te distingues de Marsyas sur un seul point : tu n’as pas besoin d’instruments, et c’est en proférant de simples paroles que tu produis le même effet [de nous mettre dans un état de possession]. En revanche, chaque fois que c’est toi [Socrate] que l’on entend […] nous sommes troublés et possédés (215c-216b).

26 Hadot, Pierre, & Arnold I Davidson. Exercices Spirituels Et Philosophie Antique., op. cit., p. 113.

27 Gourinat, Michel. « Socrate Était-Il Un Ironiste ? » Revue De Métaphysique Et De Morale, vol. 91, no. 3, 1986, p. 342.

28 Platon évoque ici une purification des opinions, que la réfutation permet, purification que permet ensuite la véritable connaissance, comme la purification de ce qui est corporel permet de se tourner vers ce qui est incorporel, c’est-à-dire l’intelligible (Phédon). Ce serait une purification semblable à la purification des émotions, mais sur le plan intellectuel cette fois, une purification « pédagogique ». Le terme katharos se traduit donc par « pur » ou « purifié », le résultat de la purification.

29 Dorion, Louis-André. « La Figure Paradoxale De Socrate Dans Les Dialogues De Platon. »., op. cit., p. 34. C’est à partir du Ménon que Socrate délaisse le mode de réfutation au profit de celui de la maïeutique.

30 Titli, Chloé. Particularités de la maïeutique socratique : la métaphore de Socrate accoucheur dans le Théétète de Platon. In: Bulletin de l’Association Guillaume Budé, n°1, 2009. p. 81.

31 Pour approfondir sur la théorie de la réminiscence et l’immortalité de l’âme : Canto-Sperber, Monique, « introduction » à sa traduction du Ménon, pp. 74-94.

32 Ibid., p. 79.

33 Gourinat, Michel., op. cit., p. 340.

34 Dorion, Louis-André., op. cit., p. 27.

35 Hadot, Pierre, & Arnold I Davidson. Exercices Spirituels Et Philosophie Antique., op. cit., p. 114.

36 Titli, Chloé., op. cit., p. 94.

37 Hadot, Pierre, & Arnold I Davidson. Exercices Spirituels Et Philosophie Antique., op. cit., p. 115.

38 Parlebas, Pierre. « Un Modèle D’entretien Hyper-Directif : La Maïeutique De Socrate. » Revue Française De Pédagogie 51 (1980), p. 4. On retrouve la même situation dans le Lysis où les interlocuteurs de Socrate, à savoir Lysis et Ménexène, ne donnent que des réponses très brèves (« oui », « non »). L’entretient ressemble plus à un monologue qu’à un dialogue.

39 Ibid., p. 12.

40 Ibid., p. 16.

41 Ibid., pp. 16-17.

42 Ibid., p. 17.

43 Nous regrettons en effet que cette analyse de la maïeutique repose uniquement sur ce passage précis du Ménon car il n’est qu’une particularité de la diversité des échanges entre Socrate et ses interlocuteurs. A cela, ajoutons que l’esclave est un jeune interlocuteur qui n’est pas expérimenté dans l’activité philosophique : il ne peut défendre aucune position qui lui permettrait de revendiquer son savoir. Par conséquent, la relative naïveté de l’esclave ne peut produire que des réponses brèves comme c’est le cas notamment des interlocuteurs de Socrate que l’on retrouve dans les dialogues de jeunesse de Platon (Lysis, Lachès, l’Euthyphron etc.). Bref, est-ce que la construction de l’enchaînement des questions de Socrate relève essentiellement d’un échange hyper-directif où est-il le résultat de réponses émanant d’un interlocuteur trop naïf ? En effet, que se passerait-il si Socrate questionnait des personnages intellectuellement plus sophistiqués tels que Protagoras ou Gorgias ?

44 Ibid., p. 17.

45 Ibid., p. 18.

46 Ibid., p. 18. P. Parlebas se réfère à l’épistémologie génétique de Jean Piaget.

47 Hadot, Pierre, & Arnold I Davidson. Exercices Spirituels Et Philosophie Antique., op. cit., p. 47.

48 Voir l’introduction au personnage d’Alcibiade. Pradeau, Jean-François, « introduction » à sa traduction de l’Alcibiade, pp. 15-20.

49 Hadot, Pierre. La Philosophie Comme Manière De Vivre : Entretiens Avec Jeannie Carlier Et Arnold I. Davidson., op. cit., pp. 146-147.

50 La philosophie s’interroge sur des notions qu’elle tente de définir. Toutefois, la recherche d’une définition définitive reste une difficulté qui n’aboutit pas forcément au résultat espéré.

51 Ibid., pp. 149-150.

 

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